« La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent » (Albert Camus).
Claude Chatelain naît le 3 juillet 1927 à Curran, dans l’est de l’Ontario. Aîné de douze enfants, il est presque aveugle à la naissance. Il a 3 mois quand sa grand-mère Alida remarque son problème visuel. La découverte du handicap constitue une dure épreuve pour les parents.
Premier pensionnat
Avec une vision d’à peine 3 %, Claude entre à 9 ans dans une école spécialisée, l’Institut Nazareth de Montréal. De 1936 à 1941, il y fait son cours primaire. Durant l’année 1941-1942, il pratique sans le vouloir l’école buissonnière. Pourquoi? C’est que, pendant ce temps, ses parents cherchent une autre école où Claude pourrait retourner en classe, les religieuses de Nazareth ne gardant plus les garçons de son âge.
Brantford
C’est en Ontario que le jeune garçon, qui passe pour être très déterminé, va poursuivre ses études. En septembre 1942, nous le retrouvons en effet à The Ontario School for the Blind à Brantford. Après sept années d’un labeur continu, Claude reçoit son diplôme de douzième année en juin 1949. Son frère Jean-Guy, représentant la famille, assiste à la cérémonie de remise des diplômes.
Distinctions
Durant les sept années qu’il étudie à Brantford, Claude attire souvent l’attention. Alors que l’école compte 225 élèves, il obtient un poste dans l’équipe olympique de l’institution trois années consécutives. C’est un spécialiste de la montée du câble et de la course. Il défend les couleurs de son école contre l’école américaine des aveugles de New York Western State à Batavia, New York.
Il laisse aussi sa marque en remportant le trophée Character Cup en 1948 et 1949. Ce trophée est remis à l’élève de l’école qui s’est le plus distingué dans toutes les disciplines. Claude est le premier Canadien français à mériter cet honneur deux années de suite. Vingt-cinq autres élèves canadiens-français fréquentent la même école.
Études à Ottawa
Ayant réussi sa douzième année, Claude fera-t-il comme d’autres, c’est-à-dire s’en satisfaire et chercher du travail? Non, car il s’est fixé un but plus élevé.
Après avoir vainement essayé de s’inscrire à l’Université d’Ottawa, il entre en septembre 1949 au Collège St. Patrick, affilié à l’Université d’Ottawa. Il est alors l’un des deux premiers aveugles à franchir la porte de ce collège, l’autre étant Mario Galeazzi. Sa moyenne de réussite dépassera les 90 % dans les matières au programme : histoire, philosophie, religion, sociologie, etc. En juin 1953, il reçoit des mains du Chancelier de l’Université d’Ottawa son diplôme de bachelier en sciences sociales.
École d’Arts et Métiers Louis-Braille
L’année 1953 marque pour Claude non seulement l’obtention de son baccalauréat, mais aussi son arrivée dans le monde du travail. Il ne renonce pourtant pas aux études ainsi que nous le verrons plus loin. Voici un extrait de la lettre que lui fait parvenir un employé du ministère du Bien-Être social et de la Jeunesse :
« Il me fait plaisir de vous informer que l’honorable ministre du Bien-Être social et de la Jeunesse retient temporairement vos services en qualité de professeur d’anglais, d’histoire et de géographie, classe III, de l’École d’Arts et Métiers Louis-Braille, au traitement mensuel de 233,33 $, à compter du 16 août 1953… »
Cours de « navigation »
Le tout nouvel Institut Louis-Braille est une école spécialisée pour garçons malvoyants où Claude enseignera jusqu’en 1973. Signalons qu’en 1963, à la demande du père Wilfrid Laurier, directeur de l’Institut, est mis sur pied un cours de « navigation ». Que désigne cette étrange appellation? Eh bien, Claude se voit confier la responsabilité d’enseigner aux élèves des dixième et onzième années la façon d’utiliser une canne blanche et comment se comporter en public. Sœur Véronique Cayer (voir sa biographie) fera plus tard la même chose à l’Institut Nazareth. Dans L’ami des aveugles, bulletin de mai-juin 1963, Claude écrit : « Nous leur avons expliqué comment tous les sens contribuent à la mobilité. Les bruits, les odeurs et les déplacements d’air sont des indices précieux des choses qui les entourent. » Claude demande aux parents d’accepter et d’encourager le besoin d’autonomie des jeunes.
Faisons ici un saut dans le temps. Au début des années 80, lors d’une opération visant à sensibiliser ministres et députés au quotidien des personnes handicapées, Claude sert pendant trois heures de « guide » à Denis de Belleval, ministre des Transports, qui relève le défi et se déplace les yeux bandés et une canne blanche à la main. Mi-sérieux mi-badin, Claude résume ainsi l’expérience vécue par le ministre: « Même aveugle, il ferait un bon ministre. Il a vaqué à ses occupations, il a placé lui-même des appels téléphoniques, il a même signé des documents. » D’abord inquiet, le premier ministre René Lévesque éclate ensuite de rire. Ce jour-là, René Lévesque a pour compagnon un homme atteint de paralysie cérébrale.
Travail (suite)
De 1973 à 1984, Claude est professeur à la Polyvalente de Charlesbourg qui accueille, entre autres, des élèves vivant avec une déficience visuelle. À compter de 1984, il sera conseillé en programmation auprès des personnes non voyantes à l’Institut Nazareth et Louis-Braille (INLB).
L’atelier Polycom
Grâce à une subvention obtenue dans le cadre d’un projet Été Canada, Claude Chatelain réunit pendant six semaines huit étudiantes de la polyvalente de Charlesbourg. L’une d’elles vit avec un handicap visuel.
Le groupe va donc transcrire en braille divers documents très importants pour l’autonomie des personnes aveugles : une
cinquantaine de circuits d’autobus, les menus d’une trentaine de restaurants, des recettes de cuisine, des manuels de tricot, des feuillets d’instructions de jeux de société comme le scrabble et le Monopoly. Le groupe fait même l’acquisition de 245 jeux de cartes pour les adapter en braille !
Études (suite)
Tout au long de sa carrière professionnelle, Claude n’a jamais cessé d’enrichir ses connaissances. Il enseigne à Louis-Braille quand il obtient un certificat en relations humaines de l’Institut Gabriel-Richard de Montréal. Il décrochera ensuite un diplôme supérieur en pédagogie de l’Institut Pédagogique Saint-Georges, affilié à l’Université de Montréal; un brevet d’enseignement, classe A; enfin une maîtrise en éducation de l’Université de Montréal.
Bénévolat
Le moins que l’on puisse dire est que Claude a toujours fait sa large part pour aider sa communauté. Après avoir milité au sein de l’Association parents-maîtres, il fonde en 1967 l’Union des familles de Varennes. L’année suivante, il est vice-président de la Fédération des Unions de familles du Québec, créée en 1961. Pendant plus de 35 ans, ces Unions joueront un rôle important dans le soutien aux familles québécoises. Leur action devait contribuer à la création d’un ministère consacré à la famille et à l’enfance.
RAAQ
Claude écrit la première constitution du Regroupement des aveugles et amblyopes du Québec (RAAQ) qui commence ses activités en 1975. Il sera en 1984 président fondateur du RAAQ, section Québec, aujourd’hui le
Regroupement des personnes handicapées visuelles, régions 03-12. Ces organismes ont au début peu de moyens et tiennent le coup grâce au bénévolat. Jacques Larose (voir sa biographie) a bien connu Claude Chatelain et lui rend hommage ici :
« Quand je parle de bénévolat, écrit Jacques, je pense toujours à celui de Claude Chatelain qui, à l’époque, vivait à Québec. Pendant au moins 5 ans, il a assisté à presque toutes nos réunions, ne demandant jamais aucun remboursement pour ses déplacements. À l’occasion, il recevait tout le conseil d’administration chez lui à ses frais. Je me souviens avoir été hébergé chez lui avec France Beausoleil la veille de la présentation de notre mémoire à la commission parlementaire de l’Assemblée nationale sur la loi 9 visant l’exercice des droits des personnes handicapées. Bien nous en avait pris, car, ce matin du 6 décembre 1977, il faisait une tempête de neige épouvantable. »
Famille
C’est à Montréal que Claude épouse le 14 août 1954 Henriette Taillon, originaire de Mont-Laurier et aveugle elle-même. Ils auront trois enfants : Michel, Claudette et Manon. De plus, Claude et Henriette seront un foyer d’accueil pour une nièce, Dominique, dès 1966 alors qu’elle n’a que neuf mois. Somme toute, Dominique est le quatrième enfant de Claude et Henriette. Ils hébergeront aussi un neveu pendant deux ans et, plus tard, une élève aveugle de la commission régionale Jean-Talon.
À la fin des années 70, Henriette Taillon Chatelain œuvre à l’école Saint-Charles de Québec auprès des jeunes enfants handicapés de la vue. Puis elle travaille à l’Institut Louis-Hébert, toujours à Québec, en réadaptation visuelle. Elle aussi s’implique beaucoup dans la communauté malvoyante où elle se fait vite connaître.
Voyages
Toujours curieux de ce qui se passe au Québec et dans le monde, Claude sera un grand voyageur. En 1976, il parcourt le Canada avec Cyril Greenland dans le cadre de l’étude intitulée Vision Canada : les besoins non satisfaits des aveugles au Canada, étude publiée par l’Institut national canadien pour les aveugles (INCA). Il visite le Brésil, Cuba, la France, la Grèce, l’Italie, les Pays-Bas, la Terre sainte, sans oublier l’Arizona, la Californie, le Maine… Très débrouillard, il fait deux séjours d’un mois en Europe, organisant lui-même le voyage (transports, hébergement, etc.). En juillet 1979, de passage à Rome, il serre la main du pape Jean-Paul II lors de l’audience du mercredi.
Décès
Claude Chatelain meurt à Québec le 8 juin 1990, à moins d’un mois de son soixante-troisième anniversaire. Son épouse lui survivra jusqu’au 29 août 2015; elle allait avoir 93 ans.
Un mot de l’auteur
Je tiens ici à exprimer ma reconnaissance à mesdames Claudette et Manon Chatelain pour leur précieuse collaboration.
Attention !
En terminant cette biographie, nous vous offrons une galerie de photos. Elle s’adresse aux parfaits voyants, aux semi-voyants, aux personnes conservant une vision modeste et aux aveugles. Il est un peu complexe de concevoir une galerie de photos pour une telle démographie. Voici donc le mode d’emploi :
Si vous avez l’usage de la vue et que vous utilisez une souris, il vous suffit de cliquer sur une photo, et alors, la galerie sera remplacée par une diapo grande format, où les photos se succéderont au rythme d’environ 5 secondes. Pour revenir à la galerie, cliquez sur l’icône X, en haut à droite.
Si vous disposez d’une vision modeste, si vous utilisez JAWS, si peut-être vous souhaitez faire une présentation à des amis voyants, alors suivez les consignes qui suivent. Chaque photo est agrémentée d’un LIEN GRAPHIQUE, visible et audible uniquement par les utilisateurs de JAWS. Faites ENTER sur ce LIEN GRAPHIQUE, et alors, la galerie sera remplacée par une diapo grande format, où les photos se succéderont au rythme d’environ 5 secondes. Pour revenir à la galerie, appuyez sur ÉCHAPPE.
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