« Si tu veux aller vite, marche seul; mais si tu veux aller loin, marchons ensemble »
(proverbe africain).
Né le 12 décembre 1968 à Saint-Hyacinthe, Marco Dubreuil grandit dans une ancienne ferme du village de Saint-Dominique. Il a deux ans lorsque ses parents remarquent un problème visuel chez leur bambin. Un spécialiste identifie la maladie : il s’agit de l’amorose congénitale de Leber dont sera aussi atteinte l’une de ses soeurs. Bien que son handicap n’ait pas progressé depuis sa naissance, il n’a jamais pu lire l’imprimé et distingue à peine les couleurs. Dans sa petite enfance, il n’est nullement surprotégé et peut aller ici et là seul. Il lui arrive souvent de suivre son grand-père, en particulier dans l’érablière.
Une école spécialisée
Après avoir fréquenté la maternelle à Saint-Dominique, il entre en 1975 à l’école Nazareth et Louis-Braille, rue Beauregard, à Longueuil. Cette école est née de la fusion de l’Institut Nazareth et de l’Institut Louis-Braille. C’est donc une école mixte où quelques enseignants sont eux-mêmes handicapés de la vue. Marco y sera pensionnaire durant la semaine, puis habitera dans une famille d’accueil à compter des années 80.
À l’école, le voilà parachuté dans un nouvel environnement où il ne connaît personne. C’est là qu’il va étudier jusqu’à la fin du quatrième secondaire. Il apprend sans difficulté le braille dès la première année du primaire. Après l’école, il s’adonne au hockey, au patin ou au vélo. Il reçoit une canne blanche dont il n’hésite pas du tout à se servir et qui l’accompagne encore partout.
Cinquième secondaire
En juin 1985, il retourne dans sa famille. Durant l’été, un intervenant de l’Institut Nazareth et Louis-Braille (INLB) l’aide à explorer l’imposante polyvalente de Saint-Hyacinthe. C’est en septembre qu’il y entreprend son cinquième secondaire et côtoie plus de 2000 élèves. Il trouve très difficile de fréquenter une école sans les amis qu’il s’était faits à Longueuil. Il va néanmoins s’intégrer en partie grâce au Service de pastorale de l’école, et ce, pour des raisons autres que religieuses. Les élèves s’y rendent lors des récréations et le midi. On y offre diverses activités. Marco dira que le Service a été son refuge à la polyvalente.
Il a l’appui des enseignants qui ont déjà été sensibilisés à sa situation. De plus, il reçoit régulièrement la visite d’une professeure itinérante de l’école Jacques-Ouellette. Elle s’assure que Marco dispose de tout ce dont il a besoin au chapitre du matériel adapté. Il utilise un preneur de notes braille relié à une imprimante conventionnelle et peut donc remettre ses travaux aux enseignants dans le format habituel. Tout se déroule bien, même en mathématiques où le défi s’avère plus grand à cause des équations, des symboles, etc. « Moi, j’ai toujours aimé les mathématiques », affirme-t-il.
Études collégiales
À l’automne 1986, il fait son entrée au cégep de Saint-Hyacinthe. Il a chambre et pension chez un couple de personnes retraitées et se rend au cégep à pied. Quel est le champ d’études choisi? Sciences humaines avec, bien sûr, mathématiques.
Marco s’entend avec les professeurs sur le matériel à adapter. Il commence à recourir aux livres sur cassettes, grâce en bonne partie à la Magnétothèque, fondée en 1976. « Le cégep, c’est ce que j’ai préféré dans toute ma scolarité », avoue-t-il. Et pourquoi? Parce qu’il a touché à plusieurs matières : anthropologie, géographie, histoire, informatique, sociologie, etc. Il se félicite d’avoir reçu ainsi une formation très diversifiée, d’avoir appris beaucoup de choses en deux ans. Il a eu par ailleurs l’occasion de sensibiliser les étudiants à son handicap. Il y a cependant une ombre au tableau : le jeune homme se désole de ne pas vivre une relation amoureuse. Comme nous l’ont avoué d’autres hommes lors des interviews, il peut être difficile d’avoir une petite amie quand on est un non-voyant. Tout changera bientôt et c’est en France qu’il fera une rencontre déterminante.
Premier séjour en Europe
À sa deuxième année de cégep, plus précisément du 14 décembre 1987 au 18 janvier 1988, Marco voyage en Hollande et en France sur le pouce avec un ami voyant. Cela ne lui donne pas la piqûre du voyage, mais lui permet de faire la connaissance d’une certaine Anne-Rose qui allait plus tard devenir sa conjointe. En fait, il la rencontre à Dijon, en France. Elle est bénévole dans une association de personnes non voyantes, qui les accueille, son ami et lui.
Montréal
Une fois le cégep terminé, Marco déménage à Montréal. Il reçoit un autre cours en orientation et mobilité pour, entre autres, se familiariser avec le métro. À l’automne 1988, il s’inscrit à un majeur en communication à l’Université de Montréal qu’il remplace à l’hiver 1989 par un mineur arts et sciences. En réalité, son intention est d’entrer plus tard à l’École de service social. Il habite dans une résidence où les étudiants handicapés sont regroupés sur le même étage.
Service social
Tel que prévu, Marco commence en septembre 1989 un baccalauréat en service social. Il sort peu en dehors du campus. À la fin des années 80 toutefois, il découvre le ski alpin avec l’Association des sports pour aveugles de Montréal (ASAM) qui, depuis 1983, permet à ses membres de faire du sport en toute sécurité grâce à des bénévoles formés à cet effet.
Deuxième séjour en Europe et mariage
Marco interrompt son baccalauréat à la fin de l’été 1991 pour retourner en Europe où il reste cette fois un an. Il rejoint à Paris la jeune femme rencontrée à son premier voyage. Grâce à une recommandation d’un professeur de l’Université de Montréal, il est accepté dans une école parisienne de travail social, mais les cours qu’il suit ne seront pas reconnus dans le cadre de son baccalauréat. Cela, il l’ignore encore quand il épouse Anne-Rose un jour de l’été 1992.
Le monde du travail
Marco revient à Montréal avec sa femme. Il termine d’abord son baccalauréat, puis cherche un emploi dans son domaine, mais sans succès. Il constate qu’intégrer complètement le monde du travail des voyants n’est pas chose aisée. Il se demande au départ s’il doit mentionner son handicap dans son CV.
« En général, dit-il, j’essaie d’avoir l’employeur au téléphone avant de solliciter une entrevue pour m’assurer qu’il a des ouvertures envers les malvoyants. »
Toujours est-il qu’en 1993, il fait ses débuts dans le milieu de la déficience visuelle en transcrivant des ouvrages en braille pour la Bibliothèque Jeanne-Cypihot, dont l’un des fondateurs est André Vincent (voir sa biographie). En 1994, il est embauché par le Regroupement des aveugles et amblyopes du Montréal métropolitain (RAAMM) à titre de responsable du tout nouveau Service d’accompagnement bénévole. Deux ans plus tard, il passe quelques mois à INCA-Division du Québec dont les bureaux sont logés à l’étroit dans une caserne de pompiers, près du métro Joliette. Parce qu’il est agent en relations humaines, il peut faire profiter les clients de l’Institut de son savoir en travail social.
Assurances
En 1997, Marco change d’univers. Après avoir suivi au cégep du Vieux-Montréal une formation de dix mois en assurances de dommages, il fait ensuite un stage dans un cabinet d’assurances qu’il quitte seulement en 2000.
Commission des normes du travail
À l’été 2000, Marco entre à l’Institut Nazareth et Louis-Braille (INLB), mais n’y obtient pas de poste permanent. Ce n’est que partie remise puisqu’il y reviendra. Son intérêt pour le service à la clientèle, le contact avec le public, l’amène en mars 2002 à la Commission des normes du travail. Toutefois, son rêve est de gagner sa vie en réadaptation. Il va alors vivre une période assez intense. Marié, père de deux enfants et propriétaire d’une maison, il a besoin d’un revenu stable. Tout en travaillant à temps plein à la Commission, il opère à 38 ans un retour aux études. Il complète un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en intervention en déficience visuelle dans l’espoir de retourner à l’INLB.
Un rêve réalisé
Il y retourne effectivement en 2008 comme spécialiste en réadaptation-déficience visuelle. Il travaille d’abord en surdicécité. Puis, en compagnie d’un chauffeur bénévole, il se promène dans les Cantons-de-l’Est, les Laurentides, l’Outaouais, etc., pour enseigner l’informatique adaptée et parler d’autres aspects du handicap visuel à des gens qui ne jouissent pas dans leur région de services surspécialisés.
À ce sujet, citons ici le témoignage de Mélanie Caron, une intervenante du milieu :
« Il a une facilité à entrer en contact avec les jeunes. Il l’a fait avec un élève, assez renfermé sur lui-même d’un petit village éloigné en Outaouais. Le travail que Marco a fait auprès de lui a été exceptionnel. »
Et elle ajoute :
« Il a visité des élèves de Maniwaki et de Fort-Coulonge afin de maximiser leurs compétences informatiques. De ces élèves, certains vivaient beaucoup d’isolement et grâce aux enseignements de Marco, ils peuvent maintenant correspondent par courriel et même surfer sur Internet. Vous comprenez que cela a énormément amélioré la qualité de vie de ces jeunes. »
Paternité
La première fille de Marco voit le jour en septembre 1995, l’année de son installation à Verdun, dans le sud-ouest de l’île de Montréal. La deuxième naîtra en 1999. Aucune des deux n’est handicapée de la vue.
Comment un père aveugle se débrouille-t-il avec 2 enfants? Eh bien, papa et maman essaient de trouver des activités auxquelles Marco peut davantage participer, par exemple des jeux de société.
« Je leur lisais, raconte Marco, des histoires en braille au moment du coucher. Je les amenais à la garderie dans une poussette sac-à-dos. Un peu plus vieilles, elles me tenaient la main. Je me suis toujours fait un devoir d’assister aux spectacles de fin d’année. »
Loisirs et passe-temps
Au printemps 2013, Marco se met à la course à pied. Il court 10 kilomètres et son objectif est d’arriver à faire un demi-marathon. Il pratique le vélo tandem depuis son premier tandem en 1986. Par ailleurs, il aime prendre part aux tâches ménagères, surtout en tant que « madame Blancheville ». Il aime aussi bricoler et faire des projets de rénovation à la maison.
Un rêve
Si l’occasion se présentait un jour, Marco aimerait bien participer à un échange qui lui permettrait d’exercer sa profession à l’étranger.
Fierté
Marco se dit d’abord fier de la réussite de ses deux filles. L’aînée a obtenu son diplôme d’infirmière et travaille dans une
unité de naissance. La plus jeune vient tout juste de terminer son secondaire et entrera au cégep à la fin de l’été 2016.
Laissons-lui les derniers mots :
« Je suis également fier de mon propre parcours, qui n’a pas toujours été facile, mais qui me permet maintenant d’exercer un travail que je trouve utile et motivant. »