BATTISTA, YAN, ou La passion de l’autisme

Portrait de Yan Battista

« Aie confiance en toi-même et tu sauras vivre »

(Goethe).

Deuxième enfant d’une famille qui n’en comptera que deux, Yan Battista vient au monde le 26 décembre 1976 à Ville Lemoyne, sur la Rive-Sud de Montréal. Il n’est atteint d’aucun handicap visuel à la naissance. Ayant fait son primaire à Saint-Hubert, il entame les cinq ans du secondaire dans une autre école régulière. C’est là que les choses vont se compliquer quelque peu.

De mystérieuses taches

Oui, les choses se compliquent au point que Yan va redoubler les Ière et 3ième années du secondaire. Que se passe-t-il exactement ? Vers l’âge de 13 ans, alors qu’il s’apprête à refaire sa Ière année du secondaire, une tache se forme dans l’un de ses yeux. Plus elle grossit, moins il voit avec cet oeil. Il ne dit rien à ses parents parce que son autre oeil prend la relève et lui permet de vivre comme avant.

Quelques mois plus tard, une tache apparaît dans le deuxième oeil. Yan a l’impression qu’un voile couvre la partie centrale de ses yeux. Il parvient difficilement à lire ce qui est écrit au tableau. Pour le moins inquiets, ses parents consultent alors divers spécialistes. Résultat: leur fils est atteint d’une déficience visuelle qui se caractérise par la présence dans les yeux de taches ou scotomes centraux. Autrement dit, il y a absence de perception dans une partie bien circonscrite de la rétine de ses yeux.

Hôpital

En novembre 1991, Yan est admis à l’hôpital Sainte-Justine de Montréal où, pendant plus de trois semaines, il doit subir une batterie de tests. On lui administre aussi une forte dose de cortisone, ce qui a pour effet de stopper la maladie. Voilà pourquoi sa vision est demeurée la même depuis son séjour à l’hôpital; la maladie n’est donc pas dégénérative.

Réadaptation

Il devient un usager de l’Institut Nazareth et Louis-Braille (INLB) et reçoit aussitôt une canne blanche. Bien qu’il ait appris à s’en servir avec un intervenant en mobilité-orientation, il ne l’a jamais utilisée car il dit se déplacer le jour ou le soir sans aucun problème. Toutefois, s’il peut se passer de canne blanche, il apprécie beaucoup les deux télévisionneuses, l’une pour la maison et l’autre pour l’école, que lui offre le centre de réadaptation et qu’il emploie encore.

Un long secondaire

Nous sommes à l’hiver 1992. Après les vacances de Noël, Yan poursuit son secondaire à l’école Jacques-Ouellette de Longueuil qui accueille uniquement des élèves ayant un handicap visuel. Il est inscrit là afin d’apprendre à vivre avec sa déficience. Contrairement à la coutume, on préfère ne pas lui enseigner le braille, et ce, même s’il en fait la demande. En 3ième année, il traverse une période difficile due en partie à son handicap et doit reprendre son année. C’est à ce moment-là qu’il est intégré à mi-temps à la polyvalente Gérard-Filion. L’année suivante, il fait encore la navette entre les deux écoles. Puis il exprime le voeu de revenir à son école de quartier, la polyvalente Monseigneur-Parent. Il tient en effet à y faire son 5ième secondaire afin de mieux préparer son passage au cégep, autrement dit terminer son secondaire dans une école non spécialisée.

D’une classe à l’autre

Se déplacer d’une école à l’autre n’est pas un problème pour Yan; trouver la bonne classe quand on voit mal les numéros peut en être un.

L’adolescent traîne sa télévisionneuse sur un chariot et ne passe donc pas inaperçu, lui qui aime bien la discrétion. Intrigués par la présence en classe de ce gros appareil qui ressemble à un téléviseur, les professeurs sont vite informés du handicap de Yan. Celui-ci dira n’avoir quasiment pas subi de brimades de la part des élèves du secteur régulier. Parce qu’il a redoublé deux fois, il a en effet 2 ans de plus que les autres et est respecté. Il lui arrivera d’être confronté à l’ignorance des gens, d’autant plus qu’il n’a pas le profil d’une personne handicapée visuellement.

Sciences pures

Comme Yan est très intéressé par tout ce qui touche à la science, c’est en sciences pures qu’il commence ses études collégiales au cégep Édouard-Montpetit de Longueuil, études qui dureront trois ans. Il pense vaguement faire carrière dans l’enseignement des mathématiques ou la comptabilité. Il se sert en classe d’un preneur de notes et doit consacrer beaucoup de temps à lire les livres au programme, car, avec sa télévisionneuse, il lit bien sûr moins vite que les voyants. Quant aux livres sonores, il les oublie parce qu’il a du mal à se concentrer en écoutant un livre.

Sur le plan social, tout n’est pas rose: se faire des amis s’avère plutôt ardu. Son handicap est la source de malentendus: ne reconnaissant pas toujours les gens qu’il croise dans les corridors du cégep, il passe pour bête ou snob. Certains ignorent qu’il a une déficience visuelle, celle-ci ne sautant pas aux yeux, si l’on peut dire la chose ainsi. Plus tard, à l’école Bel-Essor, une collègue mettra cinq ans avant d’apprendre que Yan a une déficience visuelle. À l’occasion, il prend le temps d’expliquer sa situation, mais on semble mal la comprendre.

Ici aussi, il avise les professeurs qu’il est handicapé, mais deux d’entre eux se montrent moins compréhensifs à son égard. Ce manque d’empathie va le faire échouer à un examen et lui faire perdre sa session. Cela ne l’empêchera pas d’obtenir son diplôme d’études collégiales.

Actuariat

Nous le retrouvons ensuite à l’Université de Montréal, inscrit à un baccalauréat en actuariat. Il a entendu dire que ces études mènent à une carrière fort lucrative. Alors pourquoi pas l’actuariat ? Il y consacre deux ans avant de réaliser qu’il s’est trompé. La matière s’avère très difficile et pas particulièrement folichonne. Il a peu de livres à lire, les cours étant essentiellement des cours de mathématiques. Or, selon lui, mathématiques et handicap visuel ne font pas bon ménage. Aussi, au lieu d’un télescope, préfère-t-il utiliser la paire de jumelles offerte par l’INLB et faire travailler ses deux yeux.

À cette époque de sa vie, il accepte assez bien son handicap, mais en est parfois gêné et se soucie de ce qu’en pensent les autres. Pourtant, il emploiera ses jumelles pour mieux lire les formules et équations mathématiques inscrites au tableau, ce qui au début va déconcerter les professeurs.

Ça ne paraît pas

Pourquoi les voyants ont-ils du mal à comprendre qu’on puisse être handicapé de la vue sans que cela paraisse, qu’on puisse marcher sans canne blanche, sans chien-guide ? Pour le semi-voyant qu’est Yan, cette situation est à la fois problématique et avantageuse. Il se déplace en métro comme tout le monde.

Habitant à Saint-Hubert et étudiant à l’Université de Montréal, il s’y rend donc en métro sans canne et sans chien. Sa vision lui permet de lire les indications de direction affichées sur les quais. Il compte à l’avance le nombre des stations qui le séparent de sa destination et tout se passe bien, à condition de ne pas être distrait.

Mathématiques

Yan délaisse donc l’actuariat, mais demeure à l’Université de Montréal et dans l’univers des mathématiques. Cette fois, il entreprend un baccalauréat en enseignement des mathématiques qu’il mettra plusieurs années à compléter parce qu’il le fait à temps partiel. Et ce n’est pas parce qu’il travaille tout en étudiant, tout au plus le fait-il le dimanche. Il a simplement pour politique de beaucoup travailler l’été, notamment dans une poissonnerie, afin d’amasser assez d’argent pour se consacrer le plus possible à ses études pendant l’année scolaire.

Stages

Le baccalauréat comporte quatre stages que Yan va faire au niveau secondaire. Le deuxième, accompli à la polyvalente André-Laurendeau, se révèle difficile à cause de son problème de vision. Il ne se sent pas accepté par l’enseignante qui supervise son stage. On le considère comme un excellent enseignant de mathématiques, toutefois on semble douter qu’il puisse travailler dans une école régulière.

Voulant être évalué comme un enseignant et non comme un enseignant handicapé de la vue, Yan demande à faire ses deux derniers stages à l’école Jacques-Ouellette qu’il a fréquentée dans les années 90. Là, tous ses élèves sont malvoyants. Il ne connaît pas le braille, mais les élèves utilisent un ordinateur muni d’une plage tactile et copient leurs travaux sur une clé USB, ce qui règle pour Yan la question de leur lecture.

Yan Battista, enseignant

Une fois ses stages terminés, Yan commence à gagner sa vie dans l’enseignement. Il décroche des contrats dans des polyvalentes de la commission scolaire Marie-Victorin, Rive-Sud de Montréal. À ce moment-là, il ne peut enseigner à l’école Jacques-Ouellette parce qu’il n’a pas de diplôme en adaptation scolaire.

En classe, il fait face à des adultes ou des adolescents à qui il parle de son handicap. De toute façon, la grosse télévisionneuse qui trône sur son bureau le trahit. Ce même professeur se rend pourtant au travail à bicyclette, mais il roule prudemment.

Bel-Essor

Depuis 2010, Yan pratique son métier à l’école Bel-Essor de Longueuil qui regroupe des élèves de différentes commissions scolaires de la Montérégie. Or, ces élèves de niveau préscolaire et primaire présentent tous une déficience intellectuelle et parfois des troubles de comportement. Yan travaille dans ce que l’école appelle le « quartier des Hirondelles ». Comme il se retrouve avec des enfants autistes qui ont une déficience intellectuelle associée, il fait peu d’enseignement proprement dit, mais plutôt de l’éducation de base: comment mettre ses chaussures, comment manger comme il faut, bref comment devenir plus autonome.

C’est un nouveau défi pour Yan qui travaille de concert avec un psychologue, un orthophoniste, des techniciens en éducation spécialisée et autres. Il s’intègre dans une équipe qui vise à assurer l’épanouissement de chaque élève en tenant compte de ses besoins et de ses limites. La clientèle de Bel-Essor étant particulièrement vulnérable, il va de soi que chaque intervenant doit être conscient de l’impact de ses gestes et de ses paroles.

Retour aux études

Lorsque Yan est arrivé à Bel-Essor, la directrice, Ghislaine Boucher, a cru en lui et lui a donné l’opportunité de faire ses preuves, et ce, malgré son problème visuel. À Bel-Essor, Yan va se découvrir une véritable passion pour l’autisme. Étant lui-même handicapé, il est davantage sensibilisé au quotidien des élèves dont il a la charge. Par ailleurs, s’il veut obtenir un jour un poste permanent, il doit retourner aux études, son baccalauréat en enseignement des mathématiques se révélant insuffisant. La directrice lui suggère alors de faire un DESS, un diplôme d’études supérieures spécialisées. Après deux ans, il décroche à l’UQAM un DESS en intervention comportementale chez les autistes. Yan voit cela comme « une maîtrise sans rédaction ». Avec ce diplôme en poche, il peut désormais solliciter des postes en adaptation scolaire.

Karine

Depuis huit ans, Yan partage sa vie avec Karine. Ils se sont connus par l’intermédiaire d’Internet. Lors d’un échange de courriels, Yan avoue à Karine qu’il a un problème de vision.

« Je me souviens, écrit Karine, de m’être dit: ah bien, ce n’est pas grave, il a l’air tellement gentil sur sa photo. À notre première rencontre, je lui faisais des grimaces pendant le souper pour essayer de savoir ce qu’il voyait et ce qu’il ne voyait pas, et cela nous a fait vraiment rigoler. »

Il arrive encore à Karine d’oublier que son conjoint a un handicap visuel: par exemple, elle peut lui lancer au visage le linge de vaisselle en lui disant: « Attrape ! ». Yan a beau vouloir être le plus autonome possible, n’empêche qu’il a parfois besoin d’un coup de pouce, quitte à susciter la curiosité. « Quand je lui lis le menu au restaurant, écrit Karine, ah mon Dieu !, vous devriez voir la face des inconnus qui me regardent, mais ce n’est pas important pour moi. »  Yan a essuyé une fin de non-recevoir le jour où il a voulu mettre un carrosse derrière sa bicyclette pour y déposer le bébé.  « À ce moment-là, raconte Karine, c’est moi qui lui ai mis une limite, sinon, lui, rien ne l’arrête ! »

Vie de famille

Yan et Karine ont deux jeunes enfants qui jouissent d’une vision tout à fait normale. Yan s’est offert récemment un premier voyage à l’extérieur du Québec en se rendant à Cuba avec Karine. Un voyage sans les enfants, histoire de refaire le plein d’énergie. Les dernières années ont été en effet particulièrement éprouvantes sur le plan physique. Le deuxième enfant a fait son apparition au moment où Yan enseignait et entreprenait son DESS. « Je peux vous dire, témoigne Karine, avoir vu mon conjoint préparer ses cours et faire ses corrections pendant des heures le soir quand il enseignait au secondaire. »

Yan exerce à Bel-Essor un métier qu’il aime beaucoup. Quant à Karine, elle est agente d’assurances. Bref, un couple aux journées bien remplies. Karine tient à souligner que, durant les vacances scolaires, Yan n’amène jamais les enfants à la garderie, mais reste avec eux à la maison pendant qu’elle va à son bureau. « Il est un père incroyable. », déclare-t-elle.

Le soir de l’entrevue, une « petite cocotte » n’hésite pas une seconde à interrompre l’enregistrement en venant réclamer un bisou à son papa qui, évidemment, s’en montre plutôt ravi…

Attention !

En terminant cette biographie, nous vous offrons une galerie de photos. Elle s’adresse aux parfaits voyants, aux semi-voyants, aux personnes conservant une vision modeste et aux aveugles. Il est un peu complexe de concevoir une galerie de photos pour une telle démographie. Voici donc le mode d’emploi :

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