BEAUDOIN, MONIQUE, ou L’éternelle militante

Portrait de Monique Beaudoin. 2014

« La difficulté de réussir ne fait qu’ajouter à la nécessité d’entreprendre »

(Beaumarchais).

Née le 21 mai 1955 à Montréal, Monique Beaudoin est handicapée de naissance à cause d’un glaucome congénital. Elle aura cependant un léger résidu visuel (ombrages, couleurs et formes vues de près) pendant quelques années et, dès l’âge de 3 ans, sera inscrite à l’Institut national canadien pour les aveugles (INCA).

Quatrième enfant d’une famille de sept, elle est la seule à avoir un tel handicap et fera l’objet d’une longue et attentive surveillance de la part de ses parents, de sa mère en particulier.

Pensionnat

À 6 ans, elle devient pensionnaire à l’Institut Nazareth de Montréal, mais va dans sa famille chaque fin de semaine. Au début, elle se demande pourquoi ses frères et soeurs ne se trouvent pas avec elle à l’Institut. Elle comprend mieux quand elle constate que tous les pensionnaires sont comme elle, handicapés de la vue.

En première année, Soeur Véronique Cayer (voir sa biographie) lui enseigne toutes les matières, dont le braille auquel elle restera fidèle, notamment pour préserver la qualité de son orthographe. Elle aime bien l’arithmétique de même que la géographie avec ses étonnantes cartes en relief aux couleurs contrastées. En 4ième année, elle commence des cours de piano et s’y révèle assez douée comme nous le verrons bientôt. C’est une élève tranquille qui aide à l’occasion d’autres élèves moins autonomes qu’elle et s’entend bien avec les religieuses.

Musique

Elle achève sa 11ième année à Nazareth, toutefois elle y reste un an de plus pour compléter des études musicales. Elle sera d’ailleurs en 1974 la dernière élève de l’Institut à terminer son Lauréat en musique, un programme géré en collaboration avec l’Académie de musique du Québec où a été juge un certain Jacques Larose (voir sa biographie). Apprendre la musique devait plus tard permettre à Monique de relever un beau défi: montrer à lire et écrire la musique en braille à Adel Kerkadi, un jeune handicapé de la vue atteint aussi du syndrome d’Asperger, une aventure qui durera dix ans. Adel témoigne:

« Elle m’aidait à lire la notation en musique braille que je peux lire encore aujourd’hui. En collaboration avec madame Louise Cossette, elle adaptait également les partitions quand je chantais dans une chorale comme ténor d’abord, baryton ensuite ».

Canne blanche

Il est de tradition à Nazareth que les pensionnaires, ainsi que les professeurs qui sont malvoyants, se déplacent dans la bâtisse sans canne blanche. Cela paraît difficile à imaginer, pourtant tout se déroule bien. C’est en 10ième année que Monique reçoit cette aide à la mobilité, mais elle mettra quelques années avant de l’utiliser régulièrement et elle le fera surtout à l’extérieur. Une fois rendue à l’université, elle s’en servira davantage à l’intérieur des édifices.

GPS

Faisons ici un saut dans le temps et retrouvons-nous un instant en 2004. Pourquoi ? C’est que Monique achète à ce moment un GPS pour accroître son autonomie dans les déplacements. Laissons-la raconter ce qui lui arrive un jour alors qu’elle revient à Gatineau avec un chauffeur de taxi d’Ottawa.

« Celui-ci ne connaissait pas Gatineau. Avec mon GPS, je pouvais suivre le chauffeur qui semblait perdu, savoir où j’étais rendue et économiser les frais d’une course qui auraient pu coûter cher.» Elle tient à ajouter ceci: « Bien entendu, le GPS demande l’utilisation d’une canne blanche ou d’un chien-guide ».

Intégration

Après l’atmosphère rassurante de l’Institut Nazareth où tous les pensionnaires partagent le même handicap, Monique fait son entrée, à l’automne 1974, dans le monde des voyants à la polyvalente Georges-Vanier qui accueille des élèves handicapés physiques. Monique et une autre jeune fille sont les premières personnes vivant avec une déficience visuelle à y être acceptées. C’est là que Monique termine la dernière année du secondaire.

Collège

Nous la retrouvons en 1976 inscrite en Techniques administratives, option Marketing, au Collège de Rosemont. Elle aurait préféré l’option Ressources humaines, mais celle-ci n’est pas offerte. C’est donc là qu’elle obtient en 1979 son diplôme d’études collégiales.

Système D

Le Collège de Rosemont n’offrant pas de services spécialisés pour étudiants handicapés, Monique doit faire preuve de débrouillardise. Elle prend des notes avec sa tablette braille, fait enregistrer par des membres de sa famille des documents sur cassettes et demande à Services Converto-Braille de Hull de transcrire les livres dont elle a besoin. Cette obligation de se débrouiller par elle-même l’incite à sensibiliser son entourage aux difficultés rencontrées par les personnes vivant avec un handicap. Elle ignore alors qu’elle va y consacrer sa vie professionnelle.

Première sortie, seule avec la canne

Revenons à l’été 1976 au moment où Monique doit faire son inscription au Collège de Rosemont. S’y rendra-t-elle en voiture avec un membre de sa famille ou seule avec sa canne ? Confiante, elle choisit la canne et l’autonomie.

« Le matin, raconte-t-elle, je me lève en annonçant à ma mère que je veux y aller seule. C’est le temps ou jamais pour moi de passer à l’action! Le tout avait été pensé, analysé et bien mijoté dans mon esprit. »

Bien qu’inquiète à l’idée que sa fille puisse s’égarer en chemin, sa mère se résigne à la laisser partir, mais elle tient à la conduire à l’arrêt du deuxième autobus qui va la mener à destination.

« La route est sécuritaire, poursuit Monique. Une seule rue un peu plus achalandée à traverser. Le tout se passe bien. Je demande au chauffeur de m’avertir quand je serai rendue à l’arrêt où je dois descendre. »

Une fois l’inscription terminée, Monique prend cette fois deux autobus pour revenir chez elle.

« Il n’était pas question, dit-elle, de téléphoner à ma mère pour venir me chercher sachant très bien que cela lui aurait fait un grand plaisir. Déterminée, je voulais vivre l’expérience jusqu’au bout. »

Il faut dire que Monique, avec son léger résidu visuel, peut encore voir où finit le trottoir et où commence la rue, voir de près quand un autobus s’arrête, etc.

Très émue, la mère fait savoir à toute la famille que sa fille aveugle est partie seule en autobus avec sa canne blanche ! Un jour, elle comprendra que « la mobilité mène aussi à l’autonomie ». Et, ajoute Monique, « la mobilité ne s’apprend pas à 40 ans ».

De Montréal à Hull

En 1979, Monique déménage à Hull, maintenant Gatineau, à l’invitation de Converto-Braille qui l’embauche parce qu’en plus du braille, elle connaît les mathématiques. Vivre dans une ville de la taille de Hull devrait faciliter les déplacements. Eh bien, non, pas du tout.

« Quand je suis arrivée à Hull, dit-elle, la canne blanche n’était pas connue de la population. En Outaouais, très peu de personnes handicapées visuelles se déplaçaient seules. J’en ai compris les raisons. »

Et ces raisons, quelles sont-elles? Monique parle de  « rues croches » et d’un  « service d’autobus plus ou moins fonctionnel ». Pas étonnant que les personnes handicapées comptent souvent sur la famille ou des bénévoles pour aller ici et là. Bref, Monique réalise qu’il y a du travail à faire en matière de déplacements. Le transport adapté devait faire son apparition à Hull en 1981-1982, mais les personnes handicapées de la vue n’y auront droit qu’après 1985.

« C’est d’ailleurs, raconte Monique, l’une des raisons pour lesquelles l’Association des personnes handicapées visuelles de l’Outaouais (APHVO) a été créée: pour demander l’accès au transport adapté et faire valoir nos droits aux services de transport, de réadaptation, etc. »

Nous reviendrons plus loin à l’APHVO.

Alan

Alan Conway (voir sa biographie) apparaît dans la vie de Monique en 1980 à Montréal. La scène se passe lors d’une réunion du Regroupement des aveugles et amblyopes du Québec (RAAQ), fondé en 1975. Monique, qui fait ses débuts au sein du conseil d’administration, se lie d’amitié avec Alan et, quand celui-ci déménage à Hull l’année suivante, elle va l’aider à s’adapter au transport en commun. Tous les deux sont impliqués dans la création en 1985 du RAAQ-section Outaouais, qui deviendra l’APHVO en 2002. Alan et Monique vont vivre ensemble à compter de 1987.

Université

Tout en étant jusqu’en 1985 correctrice d’épreuves chez Converto-Braille et, en 1986, agente d’information au Regroupement des Associations de   personnes handicapées de l’Outaouais (RAPHO), elle fait à temps partiel un baccalauréat en Relations industrielles à l’Université du Québec à Hull où elle décrochera son diplôme en 1987. Professeurs et étudiants se montrent plutôt compréhensifs à son égard.

Technologies

Elle reçoit un coup de pouce de l’Optacon, un nouvel appareil qui permet de lire avec les doigts.

« Pour moi, dit Monique, cet appareil, malheureusement en voie de disparition, fut une aide très précieuse pour les études, mais aussi pour lire plusieurs documents imprimés. J’ai même utilisé l’Optacon pour faire de la transcription en braille. »

L’évolution rapide des technologies va faciliter la vie de Monique. En 1985, elle reçoit un VersaBraille, un appareil qui évite de retranscrire les travaux au dactylo ordinaire. Après plusieurs démarches, elle se voit attribuer en 1988 une imprimante braille. En 1990, elle achète un premier ordinateur branché au VersaBraille et, plus tard, au Navigator. L’année suivante, elle acquiertun premier système de reconnaissance de caractères optiques pour la lecture de documents imprimés, le système Iris.

Détermination

Longtemps après, Monique avouera que

« il fallait de la détermination à une personne handicapée pour faire des études postsecondaires».

De la détermination, elle en a à revendre puisque, une fois son baccalauréat terminé, elle obtient un certificat en animation et suit un programme d’immersion en anglais à l’Université du Manitoba, sans compter des cours d’informatique et de marketing.

Sensibilisation

Après ses études universitaires, Monique songe à travailler dans le domaine de l’équité en matière d’emploi.

« Malheureusement, dit-elle, je n’ai jamais réalisé cet objectif bien que j’aie visité plusieurs organisations et ministères. Ces visites ont plutôt servi à faire de la sensibilisation. Bien des gens rencontrés n’étaient pas convaincus qu’une personne handicapée visuelle puisse travailler. »

Elle fera la preuve du contraire en étant très scolarisée et en recourant à une technologie adaptée.

Monde du travail

En effet, Monique a beaucoup travaillé et travaille toujours. Depuis 2006, elle dirige le RAPHO où elle s’active, entre autres, à défendre les droits des personnes handicapées. Elle est arrivée là après avoir exercé bien d’autres métiers qui, pour la plupart, touchent au milieu des personnes handicapées. Arrêtons-nous à quelques-uns.

Consultante au Secrétariat d’État, elle y répertorie les ressources existantes dans la transcription en médias substituts. Pour l’Association régionale des loisirs pour personnes handicapées de Montréal, elle donne des conférences sur la façon d’accueillir les personnes handicapées. Depuis 1996, elle fait la même chose chez Kéroul où elle donne des sessions de formation dans des milieux de travail, des écoles et des établissements touristiques afin qu’ils puissent fournir un service de qualité aux personnes âgées et à celles qui vivent avec un handicap. À cela, nous pouvons ajouter professeure de bureautique, de braille et de musique.

Elle a rédigé de nombreux rapports de recherche, fait des études de marché, analysé l’intégration scolaire et professionnelle des personnes handicapées, organisé des expositions sur des postes de travail adaptés, publié des articles sur la cécité, animé des réunions et des assemblées, etc. Certains emplois ont duré quelques mois, d’autres ont été exercés à temps partiel. N’empêche que Monique n’a pas chômé depuis l’université.

Et, histoire de ne pas perdre la main, elle trouve le temps de faire de la transcription en braille pour Braille Jymico de Québec, la Commission scolaire des Draveurs, le Conseil des écoles publiques de l’est de l’Ontario, Environnement Canada, la ville de Gatineau, et la liste se poursuit. Que transcrit-elle en braille? Un peu de tout: documents pour organismes communautaires, manuels scolaires, menus de restaurant, publications gouvernementales, etc.

Du travail au bénévolat

À lire ce qui précède, on se demande comment Monique parvient à faire du bénévolat, car elle fait cela aussi et même beaucoup. Vivant en Outaouais depuis 1979, elle connaît très bien la région et le milieu des personnes handicapées. Elle a été ou est membre de maints organismes et comités, a siégé ou siège à de nombreux conseils d’administration dont, par intermittence, celui du RAAQ depuis 1980 et celui du Regroupement des aveugles et amblyopes du Québec, section Outaouais, devenu l’APHVO en 2002, avant et après sa fondation en 1985.

Elle combat, si l’on peut dire, sur plusieurs fronts: l’habitation, l’emploi, la santé, l’accessibilité universelle aux infrastructures municipales, l’accès à l’information et sites web, les transports adapté et régulier, etc.

Robert Saucier, qui la connaît depuis près de quinze ans, affirme:

« Monique a toujours démontré une rigueur irréprochable dans tous les dossiers. Elle a toujours su faire preuve d’une abnégation que l’on croyait disparue de la surface de la terre ».

Le mot est lâché: abnégation. Pourquoi un tel besoin, voire une urgence, de se faire entendre ici et là? « Si on n’y va pas, dit Monique, qui va le faire? » Elle se tient par exemple à l’affût de tout ce qui peut gêner les déplacements des personnes non-voyantes. La voilà qui évoque le virage à droite au feu rouge, des traversées de rues non sécuritaires, des trottoirs avec bateaux pavés égaux à la rue, les voitures électriques ou hybrides, le déneigement… Bref, elle demande aux personnes qui partagent son handicap de persévérer plus que jamais dans leur lutte pour atteindre une véritable inclusion.

Depuis plus de trente-cinq ans, la fière militante invite les personnes handicapées à se mobiliser et à participer aux débats qui les touchent. Elle-même en ferait davantage si elle le pouvait, mais elle ne le peut pas par manque de temps, non d’intérêt.

Honneurs

Cette infatigable militante, « toujours à la défense des droits des personnes handicapées, tous types de limitations confondus », comme l’écrit Robert Saucier, a vu son travail récompensé à quelques occasions. La ville de Hull lui décerne en 1989 une « reconnaissance honorifique » pour son implication dans l’amélioration des conditions de vie des personnes handicapées. En juin 2002, elle reçoit le prix Louise-Cossette, remis par l’école provinciale Centre Jules-Léger, qui reconnaît son travail de sensibilisation et d’éducation dans la communauté. En décembre de la même année, le RAPHO lui attribue un Prix David pour tout le travail communautaire accompli au sein de l’organisme et dans la région.

Une autre consécration: dans le cadre de la Semaine de la canne blanche, Monique est le 2 février 2015 choisie « Personnalité de la semaine » par les journalistes de la Société Radio-Canada et du quotidien Le Droit.

Fierté

Lorsque Monique pense au chemin parcouru depuis les années 80, elle estime avoir de quoi être fière. D’abord de ses études universitaires qu’elle se considère « privilégiée » d’avoir réussies. « Personne ne peut, dit-elle, m’enlever cette satisfaction.»  Pourquoi ? C’est qu’elle a pu ainsi faire connaître ses besoins et défendre ses droits. Sans le savoir, elle jetait ainsi les bases de sa future carrière d’« agente de changement », ce qui l’amènerait à passer du particulier au général. Parce qu’elle se dit plus que jamais préoccupée par tout ce qui n’avance pas assez vite à son goût, il va de soi que « cette carrière ne se termine jamais ». C’est tant mieux puisque, selon Robert Saucier,

>« Monique a eu et aura toujours un impact social très inspirant».

Un autre motif de fierté pour Monique, c’est ce jeune homme aveugle à qui elle a enseigné la musique pendant dix ans. En 2014, il fréquente l’Université d’Ottawa où il fait un baccalauréat avec majeur en musique, grâce à une bourse que lui a octroyée un organisme en reconnaissance de son talent.

« Pour moi, avoue Monique, c’est le fruit d’un travail de 1999-2009, une belle reconnaissance de mon enseignement. »

Attention !

En terminant cette biographie, nous vous offrons une galerie de photos. Elle s’adresse aux parfaits voyants, aux semi-voyants, aux personnes conservant une vision modeste et aux aveugles. Il est un peu complexe de concevoir une galerie de photos pour une telle démographie. Voici donc le mode d’emploi :

Si vous avez l’usage de la vue et que vous utilisez une souris, il vous suffit de cliquer sur une photo, et alors, la galerie sera remplacée par une diapo grande format, où les photos se succéderont au rythme d’environ 5 secondes. Pour revenir à la galerie, cliquez sur l’icône X, en haut à droite.

Si vous disposez d’une vision modeste, si vous utilisez JAWS, si peut-être vous souhaitez faire une présentation à des amis voyants, alors suivez les consignes qui suivent. Chaque photo est agrémentée d’un LIEN GRAPHIQUE, visible et audible uniquement par les utilisateurs de JAWS. Faites ENTER sur ce LIEN GRAPHIQUE, et alors, la galerie sera remplacée par une diapo grande format, où les photos se succéderont au rythme d’environ 5 secondes. Pour revenir à la galerie, appuyez sur ÉCHAPPE.

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