« La vie est une comédie, laquelle il n’importe combien elle soit longue, mais qu’elle soit bien jouée »
(François des Rues).
Éric Boutet vient au monde à Grand-Mère, en Mauricie, le 18 octobre 1969, alors que sa mère n’en est qu’à sa vingt-troisième semaine de grossesse. Conséquence : Éric est atteint de la rétinopathie des prématurés. Totalement aveugle de l’oeil droit, il conservera un résidu visuel de 5 % dans l’oeil gauche. Signalons qu’il est également atteint d’une surdité totale de l’oreille droite. Malgré cela, il s’est toujours déplacé et se déplace encore sans l’aide d’une canne blanche. Il se félicitera plus tard que ses parents l’aient élevé de la façon la plus normale possible pour qu’il soit autonome. « C’est le plus beau cadeau qu’ils m’ont fait », affirme-t-il. Il peut, par exemple, rouler à bicyclette dans les rues de son quartier.
À l’âge préscolaire et au début du primaire, ses compagnes de jeu sont sa sœur et ses amies, « les petites voisines ».
« Pendant mon enfance, raconte Éric, j’étais très près de ma sœur. Je me souviens, on allait acheter des frites ensemble. On était deux sur le même vélo, je conduisais et elle était assise à l’arrière, de dos! Elle avait une confiance aveugle en moi. »
Cours primaire 1
Après être allé en maternelle à Grand-Mère, il fait les quatre premières années du primaire à l’école Marie-Leneuf de Trois-Rivières, une institution qui accueille des élèves handicapés, peu importe leur handicap. Il aura à cet endroit la même professeure pendant quatre ans, Régine Simard (voir sa biographie). Il aura aussi les mêmes camarades de classe, Daniel Bergeron et Guy Toutant, deux garçons malvoyants vivant avec d’autres déficiences physiques. À cette école, il apprend, entre autres, le braille et les mathématiques pour lesquelles il aura une prédilection durant toutes ses études. Ses journées sont longues avec le transport par autobus. Quoi qu’il en soit, il a de la facilité à apprendre les matières au programme. « Je n’avais pas besoin d’étudier tant que ça, ça venait facilement », dit-il.
Aides visuelles
C’est à l’école Marie-Leneuf qu’Éric se voit attribuer des aides visuelles par le centre de réadaptation Louis-Hébert de Québec. Il découvre ainsi la tablette braille, le télescope, la télévisionneuse, etc. Lire avec ses yeux lui est encore possible, mais le braille constitue néanmoins son premier mode de lecture.
Cours primaire 2
Les quatre ans passés dans une école de Trois-Rivières l’ont séparé des amis qu’il s’était faits à la maternelle. Il va en retrouver quelques-uns à l’école Laflèche de Grand-Mère où il fait ses 5ième et 6ième années du primaire. Cette fois-ci, ce handicapé de la vue évolue parmi des élèves voyants. Il peine à lire ce qui est écrit au tableau, aussi reçoit-il un coup de pouce de la professeure qui l’aide à prendre des notes. Il rechigne à employer le télescope monté sur ses lunettes parce qu’il juge l’appareil lourd et inefficace et, chose plus grave, le trouve laid. « L’orgueil l’emporte sur l’œil », écrit Éric qui délaisse souvent le télescope au profit de la loupe.
« J’ai rencontré, écrit Éric, mon meilleur ami à ma première journée de classe de 5ième année, Jean-Luc Jolivet. Il a grandement aidé à faciliter mon intégration. Ses quatre frères, sa sœur et ses parents et lui constituent ma deuxième famille. » Parlant de famille, Éric affirme que ses parents et sa sœur l’ont beaucoup aidé à devenir celui qu’il est aujourd’hui. Il ajoute qu’il a eu la chance, à chaque étape importante de sa vie, de rencontrer des gens extraordinaires qui l’ont accueilli comme il était et qui lui ont beaucoup apporté. D’ailleurs, Éric les a toujours gardés dans son entourage. Avec un humour piquant, il déclare: « Avoir un handicap est un excellent filtre social: les bonnes personnes viennent vers toi et les cons, tu les remarques rapidement. »
Cours secondaire
Éric entreprend ensuite son secondaire à la polyvalente du Rocher de Grand-Mère. Qui dit polyvalente, dit généralement grosse bâtisse et beaucoup d’élèves. Avant même le premier jour de classe, le jeune garçon se livre à une exploration de l’école. Croyant bien faire, le directeur lui réserve la première case d’une rangée afin qu’il s’y rende plus facilement. N’en déplaise au directeur, Éric en choisira une autre à l’invitation de ses amis.
De petits yeux
C’est un élève studieux qui préfère les mathématiques et l’histoire. Parce qu’il met deux fois plus de temps à lire que les autres, il sort parmi les derniers lors d’un examen de compréhension de texte. Quand on le voit de près, on remarque qu’il a les yeux plus petits que la moyenne. Son handicap étant donc visible, il est l’objet de moqueries de la part de certains élèves. Il n’est assurément pas le gars le plus populaire auprès des filles, mais il a des amis qui le restent encore aujourd’hui.
Cet adolescent discret est néanmoins nommé « élève de l’année » à ses Ière et 5ième années du secondaire, principalement en raison de ce qu’il appellera son « éthique de travail ». À sa dernière année, il s’implique dans les activités de la radio scolaire. Pendant son secondaire se produit un incident qui n’aura pas de suites fâcheuses. Un jour, il lance une balle en l’air et, gravité oblige, elle retombe, et ce, dans son oeil gauche. Il subit un décollement de rétine, mais cela va s’arranger avec le temps et il peut encore compter sur son résidu visuel. Par prudence, il portera des lunettes de protection lorsqu’il fera du sport. Cet incident lui apprend que, dans la vie, mieux vaut apprécier ce qu’on a au lieu de se morfondre en pensant à ce qu’on n’a pas.
Collège
Après avoir obtenu en 1987 son diplôme d’études secondaires, Éric n’a aucune idée du métier qu’il aimerait exercer un jour. Alors, pourquoi ne pas continuer à étudier ? Aussi s’inscrit-il au Collège de Shawinigan en sciences humaines, option psychologie. Pourquoi les sciences humaines ? Parce qu’il déteste la physique et la chimie. Là-dessus, il est catégorique: « Je me levais la nuit pour haïr ça! » Il parle de son handicap aux professeurs pour dissiper tout malentendu.
Relations industrielles 1
À l’automne 1989, nous le retrouvons à l’Université Laval de Québec, inscrit en relations industrielles. À ce moment-là, plus que la psychologie, c’est le monde du travail qui l’attire. Toutefois, l’Université Laval, c’est gros, cela ressemble à une petite ville. Éric se sent nerveux à l’idée de devoir circuler sur un vaste campus avec plein de nouveaux édifices à explorer. Il loge dans une résidence qu’il réintègre sagement après les cours pour y noter ce qu’il a enregistré en classe.
Au baccalauréat, il a peu d’amis. Son handicap attire les regards, ce qui l’agace passablement, car il s’attendrait à une autre réaction de la part d’étudiants qui sont pourtant de jeunes adultes inscrits en sciences sociales. « Quand tu entres dans la classe, lui dit son ami Patrice Lemire, il y en a qui te regardent tout croche. » Rien là pour lui donner de l’assurance. Rien d’étonnant non plus à ce qu’il parvienne difficilement à se faire des copines. Il se jette alors dans le travail parce qu’il tient d’abord et avant tout à décrocher de très bonnes notes, et il les obtient. Notons qu’à l’Université Laval, Patrice joue dans la vie d’Éric le même rôle que Jean-Luc Jolivet au primaire.
De Patrice, Éric affirme: « Même s’il avait une grande gueule, son support m’a grandement aidé à réussir cette étape de ma vie. Il a été avec moi dans presque tous mes travaux d’équipe ». Éric sera plus tard le parrain du fils aîné de Patrice et Rachel, Antoine, né en 1995. Comme il a développé des compétences en la matière, sa sœur Jacinthe lui demandera de jouer le même rôle pour son fils Tommy-Lee, venu au monde en 1998. C’est aussi lors de ses études universitaires qu’Éric rencontre un certain Michel Fréchette, un grand ami depuis plus de 20 ans maintenant.
Deux stages
l’été 1991, ayant achevé la deuxième année de son baccalauréat, il fait un stage en ressources humaines à la Banque Nationale du Canada où il retournera d’ailleurs en 1998. Il effectue un stage similaire durant l’automne, cette fois à la Société de transport de la Communauté urbaine de Québec (STCUQ).
Un étudiant bien occupé
Non seulement doit-il suivre ses cours à l’Université Laval, mais il trouve aussi le temps et l’énergie, pendant trois sessions, d’être auxiliaire d’enseignement et correcteur. Ces emplois à temps partiel touchent aux statistiques, à l’évaluation des emplois et à la gestion des ressources humaines, le préparant ainsi à son futur métier.
Relations industrielles 2
Pour améliorer son anglais, il passe l’été 1992 à Toronto, employé par le gouvernement de l’Ontario, puis commence en septembre une maîtrise, toujours en relations industrielles et à l’Université Laval. Il prendra du temps à compléter sa maîtrise parce qu’il est durant quinze mois conseiller en emploi au projet l’Arbre: Service de développement de l’employabilité pour personnes souffrant de déficiences émotionnelle et intellectuelle. En 1996, c’est à Montréal qu’il termine la rédaction de son mémoire de maîtrise consacré à la rémunération au Centre Promotion du Logiciel québécois.
Banque Nationale du Canada
Nous venons d’écrire le mot « rémunération ». Eh bien, parlons-en maintenant. Pourquoi ? La raison en est qu’une fois sa maîtrise complétée, Éric va évoluer dans le monde de la rémunération. Il est d’abord de 1996 à 1998 analystes à l’Institut de recherche et d’information sur la rémunération.
L’année 1998 marque son retour à la Banque Nationale du Canada. Il y exerce successivement les fonctions de conseiller en rémunération, puis conseiller senior en rémunération et, enfin, directeur principal, rémunération. Son travail consiste entre autres à s’assurer que les salaires offerts par son employeur sont compétitifs par rapport à ceux d’entreprises semblables de même qu’à développer des programmes de rémunération variable pour les équipes de vente. On se montre très accueillant à son égard de sorte qu’il demeure quatorze ans à la Banque Nationale, c’est-à-dire jusqu’en 2012. Encore ici, il rencontre une personne importante dans sa vie, son premier patron, André Bourque. Bien qu’il travaille à temps plein, il se fait, de l’automne 2011 à l’hiver 2013, chargé de cours à l’Université de Montréal où il enseigne, vous l’aurez deviné, la rémunération.
C’est pendant son séjour à la Banque Nationale qu’il siège six ans au conseil d’administration de l’organisme Horizon Travail dont la mission est de faciliter l’accès au travail de personnes vivant avec une déficience visuelle.
Fiera Capital
Désireux de relever de nouveaux défis, Éric entre en septembre 2012 au service de la Corporation Fiera Capital, spécialisée en gestion de portefeuille et qui compte 400 employés en Amérique du Nord. Éric y est directeur principal, ressources humaines et rémunération. Une partie de son travail ressemble à ce qu’il faisait avant, mais il y ajoute la rémunération des dirigeants, les avantages sociaux, la rémunération en contexte américain et les acquisitions d’entreprises. Il se sent maintenant plus proche du monde des affaires. La technologie facilite son quotidien avec de petits appareils performants tels que le iPad. Combien d’heures représente pour lui une semaine normale de travail ? Cinquante, répond-il sans hésiter.
Montréal
Si Éric a préféré faire sa maîtrise à Québec, nous avons vu qu’elle l’a mené à Montréal. Comment se débrouille-t-il dans la métropole ? S’y déplacer lui est plus facile avec des rues à angle droit, la présence d’un métro et de trains de banlieue. Il apprivoise si bien sa nouvelle ville qu’il se remet au jogging qu’il pratique sur les pistes cyclables le long du canal Lachine, là où peu d’obstacles se dressent sur le chemin des coureurs. Lui qui n’était pas un grand sportif dans sa jeunesse participe à des demi-marathons. Son objectif ? Passer sous la barre d’une heure 50 minutes au demi-marathon et effectuer un marathon entier.
« Son ami et « frère d’armes » Jean-Luc Jolivet apporte ici un témoignage: « On oublie qu’Éric a un handicap visuel. Rien ne l’arrête. Emmenez-en des études universitaires, du vélo, de la pêche, des voyages d’aventure, des spectacles, de l’équitation, de la course à pied, du hockey, des transports en commun, des rénovations, de la cuisson sur le BBQ et j’en passe. En fait, je pourrais continuer encore longtemps, mais vous avez compris. Éric aime la vie. »
Voyages
Oui, Éric aime la vie et les voyages en font partie. Armé de son Guide du routard, il se rend deux fois seul en Europe : en 1996, une semaine en Irlande et une semaine à Paris; en 1999, une semaine à Barcelone et une semaine de marche dans les Pyrénées. Ce n’est pas un mince exploit quand on est malvoyant. « Tout représente un défi, affirme-t-il : de trouver quelque chose à manger jusqu’à aller à la salle de bain. » Et c’est sans parler des aéroports où déambuler s’avère plus périlleux pour une personne handicapée de la vue qui ne s’affiche pas comme telle.
À Paris, il croise un jour des Québécois, parents d’un jeune avec déficience visuelle. Ils lui recommandent d’éviter telle promenade au bord de la Seine parce que c’est un peu étroit et possiblement dangereux. Que fait Éric, pensez-vous ? « J’y suis allé, raconte-t-il, par une belle journée ensoleillée en sortant du Musée d’Orsay.» Toujours est-il qu’Éric revient chaque fois sain et sauf à Montréal.
Suzie
En 2001, grâce à un réseau de rencontres, il fait la connaissance de Suzie. Il avoue:
« Ce que j’ai toujours aimé de Suzie: son sourire, sa bonne humeur, son ouverture aux autres, sa générosité et, en plus, elle chante bien ».
C’est avec elle qu’il va désormais voyager. Le couple visite l’Équateur, le Pérou, etc. À venir, l’Afrique. Éric et Suzie évitent de trop planifier leurs voyages, voulant faire une large place à l’improvisation qui peut mener parfois à de belles découvertes.
Bourse Éric Boutet
Voilà une distinction qui honore Éric Boutet. La première vice-présidente ressources humaines et affaires corporatives de la Banque Nationale du Canada, Gisèle Desrochers, a créé la Bourse Éric Boutet. D’une valeur de 1000 $, cette bourse a été, notamment, remise en 2005 et 2006 à trois étudiants handicapés de la vue pour les appuyer dans leurs projets d’études.
Éric philosophe
Mélomane averti, Éric aimerait reprendre l’étude du piano qu’il avait commencée à la fin des années 90. Il n’est pas rare qu’une personne handicapée visuellement joue du piano. Voici qui surprend davantage: celui qui évolue dans l’univers quelque peu austère de la rémunération a suivi des cours d’écriture humoristique qui lui feront peut-être rédiger bientôt des monologues. Il faut dire qu’Éric possède un très bon sens de l’humour et juge essentiel de ne pas se prendre trop au sérieux. « Je suis capable, déclare-t-il, de dégonfler les ballounes. »
Même si « la vie en société est un combat de tous les jours », affirme Jean-Luc Jolivet, et ce, encore plus si le hasard vous a fait naître handicapé, ce gai luron d’Éric se dit capable de résilience et s’estime privilégié par rapport à bien des gens. Au lieu de vivre dans l’espoir de retrouver demain une vision normale, il prend les jours comme ils viennent. Si jamais on lui propose une opération susceptible d’améliorer sa vision, il sera évidemment tenté par l’aventure. D’ici là, il veut penser davantage à ce qu’il a plutôt qu’à ce qui lui manque. L’homme a mûri et acquis un brin de sagesse, mais peut-être n’aimera-t-il pas le mot, lui qui n’a pas encore atteint le cap de la cinquantaine.
Selon lui, la pitié est l’apanage des personnes faibles.
« Une personne qui a pitié de toi, écrit-il, est en fait en train de te dire qu’elle ne saurait pas quoi faire si elle était à ta place. Les personnes fortes sont, quant à elles, capables de compassion. »
D’après Jean-Luc Jolivet,
« la capacité d’Éric à rebondir sur ses pattes lorsque des coups durs arrivent, pourrait nous faire croire que c’est lui qui a inventé le concept de résilience ».
Craignant de blesser la modestie de son ami, le même Jean-Luc, un brin malicieux, s’empresse d’ajouter:
« À ceux et celles qui seraient tentés de le prendre pour un saint, je vous le confirme, Éric a aussi ses défauts. Oui, oui! Il est comme vous et moi, il est humain. Il est un humain à part entière…»
Attention !
En terminant cette biographie, nous vous offrons une galerie de photos. Elle s’adresse aux parfaits voyants, aux semi-voyants, aux personnes conservant une vision modeste et aux aveugles. Il est un peu complexe de concevoir une galerie de photos pour une telle démographie. Voici donc le mode d’emploi :
Si vous avez l’usage de la vue et que vous utilisez une souris, il vous suffit de cliquer sur une photo, et alors, la galerie sera remplacée par une diapo grande format, où les photos se succéderont au rythme d’environ 5 secondes. Pour revenir à la galerie, cliquez sur l’icône X, en haut à droite.
Si vous disposez d’une vision modeste, si vous utilisez JAWS, si peut-être vous souhaitez faire une présentation à des amis voyants, alors suivez les consignes qui suivent. Chaque photo est agrémentée d’un LIEN GRAPHIQUE, visible et audible uniquement par les utilisateurs de JAWS. Faites ENTER sur ce LIEN GRAPHIQUE, et alors, la galerie sera remplacée par une diapo grande format, où les photos se succéderont au rythme d’environ 5 secondes. Pour revenir à la galerie, appuyez sur ÉCHAPPE.
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