LANDRY, ROSALIE, ou La dame aux chiens

Porteret de Rosalie Landry.

« Comme le monde serait triste sans l’odeur des confitures ! »

(Georges Duhamel).

Née le 8 mars 1966 à Natashquan, sur la Côte-Nord, Rosalie Landry est la cadette d’une famille de trois enfants. Elle est atteinte d’une surdité bilatérale profonde alors que son frère et sa soeur, Rock et Line, entendent parfaitement bien. Rosalie sera d’ailleurs la seule des trois à avoir deux handicaps, à être à la fois malentendante et malvoyante. Elle est âgée de 2 ans quand on constate qu’elle entend mal. Elle réagit aux vibrations, par exemple lorsqu’elle joue dehors et que sa mère frappe à la fenêtre; si sa mère sort sur la galerie pour l’appeler, la fillette ne répond pas parce qu’elle ne l’entend tout simplement pas.

Malentendante

Les parents de Rosalie l’amènent à Québec pour la faire examiner par un spécialiste du Centre de l’ouïe et de la parole. Le résultat est que la fillette porte un premier appareil auditif, c’est-à-dire un petit harnais posé sur la poitrine et relié à ses oreilles par un fil. Il va sans dire qu’elle se démarque ainsi des enfants du village, en particulier quand elle se rend à la plage. En jouant avec ses amis, elle se choque parfois si l’appareil émet des grésillements dans ses oreilles.

Une famille d’accueil

Comme Rosalie a un retard de langage et qu’elle devra tôt ou tard faire son entrée à l’école, sa mère communique avec une dame de Québec, une grande amie, qui accepte d’héberger la fillette chez elle. Rosalie va y vivre deux ans, le temps de faire ses prématernelle et maternelle tout en retournant à Natashquan à Noël et durant l’été. Suivie par des spécialistes du Centre de l’ouïe et de la parole, elle doit améliorer son langage et ainsi rattraper son retard afin d’être en mesure de faire son primaire à Natashquan. C’est avec sa famille d’accueil qu’elle commence à 5 ans à pratiquer le ski alpin.

École à Natashquan

Revenue dans son village natal, Rosalie est inscrite à l’école Notre-Dame-des-Anges, aujourd’hui Roger-Martineau, où elle fait le primaire ainsi que les Ière et 2ième années du secondaire. Bien que cela ne l’amuse pas toujours, elle a chaque samedi matin deux heures de rattrapage avec une religieuse qui l’aide à progresser dans certaines matières, histoire de revenir sur des choses qu’elle a mal comprises durant la semaine. Elle met bien sûr plus de temps à rédiger ses devoirs, mais y parvient, encouragée par son père. Très sociable, Rosalie a plein d’amis dans ce village où tout le monde se connaît. Rappelons qu’elle possède encore une excellente vision.

« Durant le primaire de Rosalie, dit sa soeur Line, mes parents ont amené à quelques reprises toute la famille participer à des congrès à Québec ou Montréal afin de nous familiariser avec le handicap de Rosalie et lui permettre de rencontrer d’autres malentendants. » Elle ajoute : « Mes parents ont fait de gros efforts pour que Rosalie ait accès à tous les services facilitant son apprentissage ».

Retour à Québec

Au lieu de l’envoyer à Havre-Saint-Pierre pour y faire les trois dernières années du secondaire, ses parents préfèrent l’inscrire au collège Notre-Dame-de-Bellevue de Québec. Pensionnaire durant la semaine, elle loge le week-end chez Line qui étudie à ce moment-là au cégep. Parce que la route 138 ne relie pas encore Natashquan au reste du Québec, leurs parents viennent en avion les voir, car le père est commerçant et s’approvisionne dans la Vieille-Capitale. Rosalie, qui entend moins bien, s’assoit toujours à l’avant de la classe et pratique la lecture labiale. Les professeurs sont invités à porter un petit micro pour amplifier le son et à ne pas trop se déplacer dans la classe afin de lui faciliter la tâche. Ils acceptent, mais pas toujours de bon coeur. Un problème survient le jour où l’un d’eux, portant barbe et moustache, fait son apparition dans la classe. Ne pouvant lire sur ses lèvres, Rosalie en informe l’enseignant qui consent volontiers à se raser, ce qui fait aussi grand plaisir à sa conjointe !

Cégep

Intéressée par tout ce qui touche la nutrition, Rosalie s’inscrit en sciences de la santé au collège Mérici, toujours à Québec, tout près des Plaines d’Abraham. Demeurant avec sa soeur et son frère, tous deux également aux études, et pouvant se rendre au collège à pied, elle prendra trois ans au lieu de deux pour compléter son cours collégial.

Université Laval

Toujours attirée par cette discipline, Rosalie s’inscrit à un baccalauréat en nutrition à l’Université Laval. Sa demande est refusée, ce qui déçoit beaucoup la famille Landry. La jeune femme entreprend alors un baccalauréat en consommation des aliments. Deux ans plus tard, insatisfaite, elle veut revenir à son premier choix et fait une demande d’inscription à l’Université de Montréal qui l’accepte.

Université de Montréal

Déménagée à Montréal, elle commence donc un baccalauréat en nutrition. Pendant la moitié de ses études, elle partage un appartement avec une étudiante malentendante. Elle va d’ailleurs commencer à fréquenter d’autres personnes qui, comme elles, ont un problème d’audition et deviennent des amis. En classe, elle peut compter sur des interprètes oralistes qu’elle fixe attentivement. En fait, elle ne regarde qu’eux, peu importe le professeur debout devant elle. C’est qu’elle voit encore assez bien au début des années 90, assez pour conduire une voiture, cadeau du père, et rouler parfois jusqu’à Québec pour y retrouver Line et Rock. En 1991, elle est très affectée par la disparition à 55 ans de sa mère qui, avant de mourir, a la consolation de savoir que sa cadette est autonome. L’année suivante, Rosalie termine son baccalauréat et s’apprête à faire le saut dans le monde du travail.

Chicoutimi

Rosalie fait ses débuts comme nutritionniste dans une résidence pour aînés de Chicoutimi, aujourd’hui Saguenay. Elle voit encore suffisamment pour conduire sa voiture. C’est à Chicoutimi qu’elle achète un Golden Retriever, robuste et résistant compagnon de promenade qui a un grand besoin de compagnie humaine. Rosalie développera une véritable passion pour les chiens. Précisons cependant qu’une fois devenue handicapée de la vue, elle n’aura pas de chien-guide.

Les Innus

Après avoir travaillé quelques années uniquement à Chicoutimi, elle va pendant un an partager son temps entre les aînés de Chicoutimi et les Innus de Natashquan. Quand elle se rend au pays de Gilles Vigneault, elle loge chez son père. En 1996, elle cesse de faire la navette entre le Saguenay et la Côte-Nord parce qu’elle obtient un poste permanent auprès des Innus. Il est amusant de signaler que Rosalie rencontre à Natashquan Carl qui sera bientôt son conjoint et qui est, lui, originaire de… Chicoutimi. Le hasard fait parfois bien les choses : Carl possède également un Golden Retriever et, quand revient le temps de la chasse, ce chien se révèle un auxiliaire pour le moins précieux. « Les chiens sont omniprésents dans notre vie », écrit Rosalie.

Havre-Saint-Pierre

Rosalie et Carl se marient en août 1998 et s’installent à Natashquan. Deux ans plus tard, Carl décroche un emploi à Havre-Saint-Pierre et passe la semaine sur place. En 2003, le couple y déménage. Rosalie travaille toujours avec les Innus, mais cette fois ceux de Longue-Pointe-de-Mingan ou Longue-Pointe comme disent les gens de la région. Son bureau est adapté et dispose par exemple d’un très bon éclairage. Elle ne se déplace pas dans le village, mais reçoit les gens à son bureau. Elle est très appréciée des Innus.

Handicap visuel

Nous sommes en 2003: qu’en est-il de la vision de Rosalie ? Eh bien, la nutritionniste voit vraiment moins, surtout en fin de journée. Elle craint même de perdre son permis de conduire, bien qu’elle prenne peu sa voiture, trouvant stressant de rouler dans Havre-Saint-Pierre. La vérité est que le syndrome d’Usher, diagnostiqué alors qu’elle avait 18 ans, l’a rattrapée.

Syndrome d’Usher

Rosalie est donc atteinte du syndrome d’Usher. Disons d’abord que cette maladie doit son nom à l’ophtalmologiste britannique Charles Usher qui en a étudié la pathologie en 1914. C’est une maladie génétique caractérisée par une perte d’audition congénitale associée à une déficience visuelle progressive, en fait une rétinite pigmentaire. La perte d’audition touche les deux oreilles tandis que la rétinite peut mener à la cécité. Un cousin de Rosalie, Bernard Landry (voir sa biographie), est lui également atteint du syndrome d’Usher, mais sa surdité est moindre. Signalons ici que le père et la mère de Rosalie sont respectivement les frère et soeur du père et de la mère de Bernard. Pour Rosalie et son cousin, le problème de vision vient s’ajouter au problème d’audition.

Un implant

En 2005, à presque 40 ans, Rosalie accepte de se faire poser à Québec un implant cochléaire pour compenser, espère-t-elle, sa perte de vision. C’est un implant électronique qui vise à fournir un certain niveau d’audition pour certaines personnes atteintes d’une surdité profonde ou sévère. Des électrodes posées chirurgicalement permettent de stimuler directement les terminaisons nerveuses de l’audition situées dans la cochlée.

Période postopératoire

Rosalie arrête de travailler pendant trois mois, le temps de réapprendre les sons et calibrer l’implant. Après l’opération, elle a des vertiges pendant plus d’un an. Elle est alors traitée à la fois pour les oreilles et les yeux. La maison qu’elle habite à Havre-Saint-Pierre est adaptée : plus de lumière dans les différentes pièces, un téléphone à gros chiffres, etc. Elle reçoit une canne blanche que, par gêne, elle n’utilise pas tout de suite, mais le fera plus tard, notamment dans les centres commerciaux de Québec où marcher peut s’avérer difficile pour une personne qui entend mal et voit peu. Tout cela amène Rosalie à ressentir de la frustration, à vivre un sentiment d’isolement.

N’empêche qu’avec 8 % de vision, elle peut encore, grâce à ses lunettes, lire sur les lèvres des interprètes oralistes, à condition qu’il y ait un très bon éclairage et peu de zones d’ombre.

2h2>La vie continue

Son travail l’amène à suivre des cours de perfectionnement à Québec où elle se rend en avion, accueillie à l’aéroport par sa soeur. À Havre-Saint-Pierre, elle se lève à 5 heures et fait sagement ses exercices, concoctés par une kinésiologue, avant d’aller retrouver les Innus de Longue-Pointe. Ses journées sont donc bien remplies, ce qui l’oblige à être très disciplinée. Les soirées sont courtes parce qu’elle va tôt au lit. Entre-temps, quel bonheur de partager avec son compagnon un bon repas qu’elle a pris plaisir à cuisiner elle-même ! Et quel bonheur aussi de posséder un chalet à Natashquan où elle peut marcher seule sur la plage avec ses chiens et humer l’air salin ! Elle se sent là en sécurité. C’est, écrit-elle, un endroit merveilleux qui me permet de me ressourcer, d’accepter ma vision et de voir que la vie est belle malgré mes handicaps. » Notre Natashquanaise d’origine se montre fière de son parcours, d’autant plus que très peu de personnes atteintes du syndrome d’Usher occupent un emploi. « On est agréablement surpris, dit Line, de voir qu’elle travaille encore et avec le sourire. » Dans un courriel envoyé à l’auteur, Bernard Landry tient à souligner chez sa cousine « son long chemin d’apprentissage, sa ténacité et sa persévérance, surtout par rapport à l’éloignement de ses parents, vivant à Natashquan ».

Cette femme persévérante aura 50 ans en 2016. Sa sœur l’accompagnera l’été dans une croisière en mer Baltique pour fêter comme il se doit son demi-siècle d’existence. Une croisière? Rosalie ne dira pas non, car elle aime beaucoup la mer. Mais, cela, nous le savions déjà.

Un mot de l’auteur

Je tiens à exprimer ma gratitude envers Line Landry qui a bien voulu prêter sa voix à celle de sa soeur Rosalie.[mks_separator style= »solid » height= »2″]  

Attention !

En terminant cette biographie, nous vous offrons une galerie de photos. Elle s’adresse aux parfaits voyants, aux semi-voyants, aux personnes conservant une vision modeste et aux aveugles. Il est un peu complexe de concevoir une galerie de photos pour une telle démographie. Voici donc le mode d’emploi :

Si vous avez l’usage de la vue et que vous utilisez une souris, il vous suffit de cliquer sur une photo, et alors, la galerie sera remplacée par une diapo grande format, où les photos se succéderont au rythme d’environ 5 secondes. Pour revenir à la galerie, cliquez sur l’icône X, en haut à droite.

Si vous disposez d’une vision modeste, si vous utilisez JAWS, si peut-être vous souhaitez faire une présentation à des amis voyants, alors suivez les consignes qui suivent. Chaque photo est agrémentée d’un LIEN GRAPHIQUE, visible et audible uniquement par les utilisateurs de JAWS. Faites ENTER sur ce LIEN GRAPHIQUE, et alors, la galerie sera remplacée par une diapo grande format, où les photos se succéderont au rythme d’environ 5 secondes. Pour revenir à la galerie, appuyez sur ÉCHAPPE.

Bon visionnement !

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