LÉTOURNEAU, MARIE-ÈVE, ou Une vie sans barrières

Portrait de Marie-Ève Létourneau

« La vie est un long poème que l’on écrit soi-même »

(Maxalexis).

Marie-Ève Létourneau naît le 20 juin 2000 à Lévis. Deuxième d’une famille de trois enfants, elle est atteinte à la naissance d’une dystrophie rétinienne, maladie dégénérative diagnostiquée quand elle a 3 ans. Jean-Thomas, son « p’tit frère », héritera du même handicap. À l’hiver 2016, au moment de l’entrevue, Marie-Ève a un résidu visuel d’environ 10 %. Son handicap ne l’a pas empêchée de vivre une enfance pareille à celle des autres enfants.

Une élève touche-à-tout

Elle fait son cours primaire dans sa ville natale. On agrandit les documents qu’elle doit utiliser. En troisième année, une orthopédagogue de son école lui enseigne le braille. Toujours à Lévis, elle entreprend ensuite le secondaire dans une école qui offre un programme d’éducation internationale (PEI), axé sur le développement personnel de l’élève.

Ainsi que Camille St-Laurent l’a fait avant elle (voir sa biographie), Marie-Ève doit chaque année consacrer quelques heures au bénévolat.

Marie-Ève est ouverte aux apprentissages. Sa déficience visuelle l’oblige à travailler plus fort que les autres, mais on lui donne des outils, par exemple un afficheur braille et une calculatrice parlante. Toutefois, le braille reste omniprésent dans la vie de cette boulimique de lecture. À l’automne 2014, elle fait son entrée à la polyvalente de Lévis.

Par ailleurs, elle collabore à l’organisation de soirées à l’école. Ainsi, en février 2016, elle anime une soirée des « Méritants » du PEI. Ajoutons à cela des voyages avec l’école à Vancouver, Tadoussac, Montréal, Washington, New York et ceux, nombreux, faits avec sa famille en Espagne, en France, en Italie, etc.

Musique, chant et théâtre

Elle est attirée par tout ce qui relève du monde de l’art. Elle apprend d’abord à jouer du violon, du piano et de la flûte :

« J’ai fait huit sortes de flûtes à bec imaginables »,

dit-elle en riant. En première année du secondaire, elle se met à l’étude du chant classique qui devient vite une passion. Cette dernière activité, elle la pratique en apprenant par cœur l’intégralité de ses partitions. Chaque année, elle donne deux concerts avec sa professeure de chant, mais n’est pas encore certaine de faire carrière dans ce domaine.

Elle fait également partie d’une troupe de théâtre amateur qui jouera une création collective en mai 2016. Cette jeune fille timide est heureuse de se retrouver sur une scène. Ce qui l’aide un peu, avoue-t-elle, c’est qu’elle ne voit pas les gens dans la salle. Selon elle, il faut foncer.

« Tout ce qu’on est capable de faire, dit-elle, il faut le faire. »

Une fois le secondaire terminé, elle compte aller au cégep et à l’université, possiblement en psychologie ou en musicothérapie. En fait, elle n’a pas d’idée précise quant au métier qu’elle choisira. Elle affirme cependant souhaiter travailler avec les gens, leur venir en aide.

Le sport

Tout en se disant « pas très sportive de nature », Marie-Ève fait la preuve qu’un handicap visuel n’est pas un obstacle à l’exercice du sport. Elle apprend très jeune les techniques de base du ski de fond avec une ergothérapeute, ce qui l’amènera à suivre ses parents dans des randonnées de 25 kilomètres. Elle pratique aussi la marche en forêt et en montagne. En 2015 par exemple, elle chemine pendant huit jours sur le célèbre Sentier des Appalaches (Appalachian Trail) qui, aux États-Unis, est long de 3500 kilomètres et relie la Géorgie au Maine. C’est d’ailleurs dans un camp du Maine, francophone précisons-le, qu’elle séjourne un mois chaque été, et ce, depuis ses 8 ans.

Mais cela ne s’arrête pas là. Marie-Ève s’adonne également au vélo, à la raquette et au patin. Parlant de Marie-Ève et Jean-Thomas, leurs parents écrivent :

« Déterminés à faire tout notre possible pour leur faire vivre le plus d’expériences et acquérir le plus d’autonomie possible, nous avons tranquillement, au fil des saisons, puis des années, initié nos mousses à des activités de loisir et de plein air. Nous avons constaté à notre propre étonnement que la vue n’est pas si essentielle pour une panoplie d’activités et de sports pleinement satisfaisants et que la liste des deuils réels est, somme toute, bien mince au final. Ils ne seront certes pas champions de basketball ou de tennis, ni des coureurs automobiles. Par contre, la liste des réussites et souvenirs s’allonge d’année en année. »

Imagination et bonne volonté

Selon les parents de Marie-Ève et Jean-Thomas, ceux-ci peuvent faire plusieurs activités, mais il faut accepter qu’ils ne les fassent pas toutes. Il faut faire preuve d’imagination et de bonne volonté, et ne pas craindre de donner des responsabilités aux enfants. Après tout, le plus grand défi consiste à les rendre autonomes le plus possible. Cela demande de savoir utiliser les ressources existantes. Or, l’une d’elles est l’Association québécoise des parents d’enfants handicapés visuels (AQPEHV), fondée en 1980 et qui, lors de journées d’échanges, permet justement aux parents de Marie-Ève et Jean-Thomas de partager leurs expériences avec d’autres parents.

Prix Ambassadeur

En 2012, Marie-Ève reçoit le prix Ambassadeur de l’Institut de réadaptation en déficience physique de Québec (IRDPQ), catégorie jeunesse. On la cite en exemple pour s’être remarquablement adaptée à une baisse progressive de la vision. On la décrit comme

« vive d’esprit, intelligente et positive », et « un modèle pour les autres ». On ajoute ce compliment qui a dû la faire rougir : « C’est un cadeau pour un enseignant d’avoir Marie-Ève dans sa classe! »

Un poème qui voyage

Un jour de 2013, le professeur de français demande aux élèves de la classe de Marie-Ève de rédiger un poème sur eux-mêmes. Chaque élève doit ensuite lire son texte devant les professeurs et les parents. Marie-Ève constate que son poème, « La clarté de l’ombre », est bien apprécié de l’auditoire.

Un an plus tard, elle apprend que l’Institut national canadien pour les aveugles (INCA) organise à travers tout le Canada un concours d’écriture braille, prose ou poésie. Comme elle a déjà écrit un poème, elle décide de tenter sa chance. Il ne lui reste plus qu’à transcrire le texte avec un dactylo braille. « Pas si facile », selon la principale intéressée.

« C’est donc, raconte-t-elle, par un bel après-midi que je m’installai et commençai à taper. Le désavantage avec cet outil à écrire, c’est qu’il faut être franchement très concentré pour ne pas faire trop d’erreurs; une faute ou une lettre manquante découverte trop tard nous fait recommencer l’intégralité du texte. C’est pourquoi plus j’écrivais, plus la pile de recyclage augmentait. »

Toronto

Une fois le poème transcrit en braille, il est posté à l’INCA, non seulement la veille de la date limite, mais cinq minutes avant la fermeture des bureaux de poste! Un soir de septembre, le père de Marie-Ève lui annonce qu’elle est la grande gagnante du concours dans sa catégorie. Le prix comprend un chèque de 150 $ et un voyage à Toronto, toutes dépenses payées, pour y faire la lecture du poème lors d’un congrès sur le braille. À la fin d’octobre, Marie-Ève se rend donc en train dans la Ville-Reine, accompagnée de son père. Elle y lit donc son poème que les organisateurs du congrès ont pris la peine de traduire en anglais et qui lui vaut des commentaires positifs de la part des personnes présentes. Après ce court séjour dans la métropole du Canada, elle revient chez elle, à Lévis, « la tête remplie de beaux souvenirs et d’aventures à raconter ».

Une âme en paix

Marie-Ève accepte de vivre avec son handicap, avoue même être prête à devenir aveugle, car elle estime avoir eu le temps de s’adapter aux circonstances.

Concluons ce texte en citant les derniers vers de son poème, « La clarté de l’ombre » :

« Car on est capable de
s’accepter comme on est
lorsqu’on est, ce que je suis,
une âme en paix. »

Notes

  1. Plante, Isabelle et Létourneau, François, « Le dépassement de soi par les loisirs », L’Éclaireur, revue de l’AQPEHV, 2014-2015, p. 40.
  2. Létourneau, Marie-Ève, « La clarté de l’ombre, un poème qui voyage », L’Éclaireur, 2014-2015, pp. 16-18.

Attention !

En terminant cette biographie, nous vous offrons une galerie de photos. Elle s’adresse aux parfaits voyants, aux semi-voyants, aux personnes conservant une vision modeste et aux aveugles. Il est un peu complexe de concevoir une galerie de photos pour une telle démographie. Voici donc le mode d’emploi :

Si vous avez l’usage de la vue et que vous utilisez une souris, il vous suffit de cliquer sur une photo, et alors, la galerie sera remplacée par une diapo grande format, où les photos se succéderont au rythme d’environ 5 secondes. Pour revenir à la galerie, cliquez sur l’icône X, en haut à droite.

Si vous disposez d’une vision modeste, si vous utilisez JAWS, si peut-être vous souhaitez faire une présentation à des amis voyants, alors suivez les consignes qui suivent. Chaque photo est agrémentée d’un LIEN GRAPHIQUE, visible et audible uniquement par les utilisateurs de JAWS. Faites ENTER sur ce LIEN GRAPHIQUE, et alors, la galerie sera remplacée par une diapo grande format, où les photos se succéderont au rythme d’environ 5 secondes. Pour revenir à la galerie, appuyez sur ÉCHAPPE.

Bon visionnement !

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