MIVILLE, GÉRALD, ou Le miraculé

« Il n’y a point de chemin trop long à qui marche lentement et sans se presser »

(Jean de La Bruyère).

Gérald Miville vient au monde le 23 février 1973 à Verchères, près de Montréal. Il n’en conserve aucun souvenir, puisque sa famille déménage à Roquemaure, devant le lac Abitibi, alors qu’il n’a que 3 mois. Il aura deux frères.

Études primaires et secondaires

Il fait son cours primaire à Roquemaure. Pour ce qui est du secondaire, il se retrouve dans trois endroits différents, toujours en Abitibi : Palmarolle, Sainte-Germaine-Boulé et La Sarre.

Armée

Une fois ses études secondaires terminées, il entre en 1991 dans l’armée canadienne et est logé à Saint-Jean-d’Iberville, en Montérégie. Il y suit durant trois ans une formation de signaleur naval, une formation toutefois qu’il ne mettra pas en pratique, car il quitte l’armée en 1994.

Retour en Abitibi

De retour en Abitibi, il s’inscrit à un cours en soudure offert à La Sarre tout en logeant chez ses parents à Roquemaure. Son cours n’est pas terminé qu’il se retrouve soudeur-mécanicien dans un garage de Gallichan. Il y travaille quatre ans, dont au moins un à temps plein.

Il quitte ensuite le garage pour la forêt où, pendant plus de cinq ans, il manoeuvre une ébrancheuse-tronçonneuse. Ne parvenant pas à travailler uniquement dans la soudure, il devient, au début des années 2000, camionneur. Il parcourt alors le Québec et les États-Unis en transportant, entre autres, du bois.

Mineur

Après avoir été soudeur, travailleur forestier et camionneur, Gérald se tourne vers autre chose. Un jour, il descend dans une mine et c’est une révélation. Il adorera ce métier, mais ne l’exercera que quelques années seulement, ainsi que nous le verrons plus loin.

Nous le retrouvons d’abord dans une mine de diamants à plus d’une heure et demie d’avion au nord de la centrale La Grande-4. Puis il remplit un petit contrat à la frontière de l’Abitibi et de l’Ontario avant de travailler à Lebel-sur-Quévillon, une localité située à 150 kilomètres au nord de Val d’Or.

Décembre 2007

Nous sommes en décembre 2007. Gérald travaille depuis quelques mois pour la mine Sigma de Val d’Or. À la vérité, il n’y est pas très heureux parce que les choses n’avancent pas assez vite à son goût, notamment à cause d’un manque chronique de matériel. À la mi-décembre, il est allé déposer son CV un peu partout dans l’espoir d’être embauché après Noël dans une autre mine. Toujours est-il que, le 19, se produit un évènement qui va bouleverser sa vie. À 34 ans, il s’apprête à vivre quelque chose qu’il n’avait pu imaginer.

L’accident

Le 19 décembre donc, Gérald se trouve à environ deux cents pieds de profondeur, portant son casque muni d’une petite lampe. Il est seul à forer au milieu d’un chemin assez large pour qu’un camion puisse l’emprunter et venir chercher le minerai. Or, ce jour-là, le contremaître l’a assuré qu’aucun camion n’allait passer là où il doit creuser. Ce n’est pas du tout ce qui se produira. Gérald est en train de travailler quand il voit tout à coup venir vers lui un énorme camion de 15 tonnes. Il agite alors la tête de gauche à droite pour prévenir le chauffeur de ne pas aller plus loin. Ce dernier, à son tour, semble lui faire signe que oui, comme s’il avait compris le message. Terrible méprise ! En réalité, le chauffeur n’a pas vu Gérald: c’est son casque, trop grand pour lui, qui bouge seul sur sa tête et crée le malentendu. Croyant être de nouveau en sécurité, Gérald tourne le dos au poids lourd et se remet à forer dans une pièce d’acier. L’opération achevée, il se retourne et constate, stupéfait, que le camion se trouve à moins de trois pieds devant lui et avance toujours ! En désespoir de cause, il tente de s’y accrocher, mais c’est peine perdue. Le camion le percute, le projette par terre et lui écrase la cage thoracique. Il a suffi de dix secondes pour que sa vie bascule.

Cécité

Le chauffeur, lui, devine que quelque chose d’anormal vient d’arriver en voyant un outil qui n’est pas à sa place. Il sort du camion, découvre Gérald, immobilisé sous un pneu, et court vers la sortie en criant: « J’pense que j’en ai écrasé un ! » Un autre mineur accourt sur les lieux du drame, s’installe au volant du mastodonte et le fait reculer. Couché par terre au milieu d’un petit groupe de camarades, Gérald est conscient, mais il saigne des yeux, du nez et de la bouche. Tout en respirant avec difficulté, le costaud qu’il est se donne un élan et parvient à s’étendre sur le ventre même si le bassin, dira-t-il, « ne voulait pas suivre ». C’est dans cette position que, quelques minutes plus tard, il réalise qu’il ne voit plus rien du tout. Il est désormais aveugle, mais l’ignore encore. À cause d’un problème de communication, une longue demi-heure s’écoule entre le moment de l’accident et l’installation de Gérald sur une civière. Voulant bien faire, un ambulancier coupe sa ceinture de mineur bien que Gérald s’y oppose, car il craint que l’hémorragie en profite pour se répandre dans son corps. La ceinture enlevée, Gérald perd vite connaissance.

Hôpitaux

L’ambulance le transporte à l’hôpital de Val d’Or où travaille Chantal, sa compagne, avec qui il vit depuis six mois. Quand on lui dit que Gérald a été amené à l’urgence, elle croit qu’il s’est blessé à un pied ou une jambe, rien de plus dramatique. Gérald est sur le point d’entrer en salle d’opération lorsqu’elle le voit avec sa tête très enflée et la peau bleue. Figée sur place, elle est incapable de prononcer la moindre parole. Une infirmière informe Gérald que sa conjointe est là. Les personnes qui assistent à la scène l’entendent dire: « Chérie, j’t’aime », mais lui n’en garde aucun souvenir.

Il passe quatre heures et demie sur la table d’opération, puis un avion-ambulance l’amène à l’Hôpital Général de Montréal. Le chirurgien qui l’a opéré à Val d’Or doute que son patient arrive vivant dans la métropole. C’est pourtant le cas. « Je suis pas mal tête de cochon, dira Gérald, alors je me suis rendu ! » Il subit d’autres opérations, puis est plongé dans un coma artificiel pendant un mois et demi. Lorsqu’il en émerge, il est attaché sur son lit et branché à des appareils, incapable de parler à cause d’une trachéotomie. Il restera muet jusqu’à ce qu’on lui pose un petit micro. À l’Hôpital Général, on l’appelle « le miraculé ». Cependant, ce miraculé est aveugle et les spécialistes lui confirment qu’il n’y a rien à faire, le nerf optique ayant été trop endommagé lors de l’accident. Ses yeux ressemblent à ce qu’ils étaient avant, mais ils ne voient plus la lumière du jour.

Le deuil de ses yeux

Gérald passe en tout trois mois et demi couché sur un lit d’hôpital dont le matelas, gonflé, empêche la formation de plaies de lit. Non seulement il souffre physiquement, mais il doit aussi composer avec la cécité, ce qui s’avère plutôt difficile quand on en est encore au printemps de sa vie. « Le deuil de ses yeux, avouera-t-il, je suis pas sûr qu’on le fait totalement. »

Comme si cela ne suffisait pas, un jour, on le perd durant huit heures sur un étage supposément fermé et, un autre jour, il passe quatorze heures sur une civière large d’à peine dix pouces ! Se console-t-il à la pensée que, s’il avait été maigre, il n’aurait sûrement pas survécu à l’accident ?

Réadaptation

Il revient en Abitibi par avion-ambulance, non à la maison, mais à Macamic où se trouve un sanatorium depuis 1950. Gérald n’y fera pas seulement traiter ses problèmes respiratoires, mais il y entreprend une véritable réadaptation qui va durer presque quatre mois. Il mettra du temps avant de pouvoir se lever et, cela étant fait, se déplacera en fauteuil roulant. À la fin de son séjour, il réussit, grâce à des barres d’appui, à faire quelques pas dans sa chambre et le corridor.

Toucher et écouter

Parce qu’il ne peut plus compter sur ses yeux, il doit apprendre à les remplacer par ses doigts afin d’identifier les objets, les pièces de monnaie, etc. Ce qui était banal avant l’accident requiert maintenant un apprentissage. À défaut de voir, Gérald est forcé de porter une plus grande attention à ce qu’il touche. Ne plus effleurer distraitement les objets, mais les toucher comme pour les apprivoiser et ainsi les situer dans l’espace. Un spécialiste en mobilité-orientation lui fait découvrir cette canne blanche dont il a entendu parler vaguement et qui n’appartenait pas à son univers de voyant. Gérald accepte aussitôt de l’utiliser et apprend à évaluer les distances en écoutant attentivement les bruits ambiants. C’est une période longue et ardue, mais il fait le pari de vivre même s’il est condamné à le faire avec un corps diminué et la cécité.

Retour à la maison

En juin 2008, quand il quitte le sanatorium, il n’est pas guéri, loin de là. Il est heureux cependant de revenir chez lui à Val d’Or et d’y retrouver Chantal. C’est bon d’être rentré à la maison, n’empêche que Gérald y est alité une partie de la journée. Une infirmière vient le voir chaque jour pour noter son état de santé et vérifier si la réadaptation va bon train. Celle-ci est retardée par de fréquentes infections à la vessie. Gérald doit même porter une sonde pendant trois ans et demi.

Informatique

Gérald n’a certes pas une bonne santé, mais il a beaucoup de temps libre. Alors il franchit une autre étape dans sa réadaptation. Il se met à l’étude du braille, apprend à taper à un clavier d’ordinateur, découvre la synthèse vocale JAWS, suit par téléphone un cours d’informatique avec Robert Savard de l’Institut national canadien pour les aveugles (INCA). Selon Robert, Gérald a été un bon élève : il a montré beaucoup de bonne volonté et de débrouillardise de sorte qu’il a vite appris les rudiments de JAWS et du iPhone. Devenu une personne handicapé, il a effectivement fait preuve de pragmatisme en constatant que l’informatique s’adaptait à ses besoins. Elle lui permet, entre autres choses, de télécharger des livres sonores à partir du site d’une bibliothèque numérique.

Mariage

Il épouse Chantal en mars 2012 et la cérémonie se déroule en République dominicaine. En fait, le mariage devait être célébré au même endroit quatre ans plus tôt, en février 2008. Rappelons qu’à ce moment-là, Gérald est cloué sur un lit d’hôpital à Montréal. Sa santé fragile ne l’empêchera pas de retourner dans le Sud avec Chantal.

Chien-guide

Toujours en 2012, Gérald s’éloigne de Val d’Or pour se retrouver à Sainte-Madeleine où, pendant un mois, il apprend à devenir le maître d’un chien de Mira qui deviendra son guide. Pourquoi un chien-guide ? Entre autres raisons, Gérald dira qu’il est périlleux l’hiver de marcher dans la rue qu’il habite parce qu’elle est mal déneigée. Le chien, c’est aussi une présence constante à ses côtés, car Chantal travaille le jour. Il arrivera à Gérald de parcourir quelques kilomètres avec son chien, mais devra y renoncer à cause de ses genoux pour lesquels il est d’ailleurs en attente d’une opération qui doit se faire à l’hôpital d’Amos, au nord de Val d’Or.

Le quotidien

Gérald aimerait bien travailler de nouveau un jour si sa santé le lui permet évidemment. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Il ne peut rester assis ou debout trop longtemps et ne peut s’étendre sur le dos plus de quinze minutes. Cela complique, on s’en doute, le quotidien, par exemple le partage des tâches. Gérald avoue volontiers que Chantal, son « petit ange », fait plus que sa part à ce chapitre. Il doit composer avec ses incessants problèmes de santé qui l’ont obligé à venir se faire soigner plus de trente fois à Montréal depuis 2008. Si le corps s’épuise dans ces conditions, le moral est bon néanmoins.

Gestion d’immeubles

Avant l’accident, il aimait beaucoup chasser, pêcher et bricoler. Il fait à l’occasion un peu de rénovation dans les deux immeubles à logements qu’il a achetés et qu’il peut gérer de chez lui par téléphone et ordinateur. Il songe même à en acquérir un troisième, ce qui lui permettrait d’effectuer encore de petits travaux ou d’en superviser d’autres, le remplacement d’un réservoir à eau chaude par exemple, après avoir commandé le matériel nécessaire. Assurer ainsi le bien-être de ses locataires fait qu’il se sent plus utile. S’il doit rencontrer l’un d’eux habitant un autre immeuble que le sien, Chantal peut l’amener sur place dans le camion qu’il a acheté. Sinon, il recourt à un service de transport bénévole qu’il trouve merveilleux et qui lui coûte quelques dollars seulement. Entre-temps, il lui faut évidemment reprendre des forces. Aussi laissons-le à ses projets, car ils l’aident à vivre.