PATRY, CHANTAL, ou La fière abitibienne

Portrait de Chantal Patry. 2014

« La vie nous apprend à bien faire usage de notre temps; le temps nous apprend la valeur de la vie »

(Auteur inconnu).

Amos est une petite ville d’Abitibi coupée en deux par la rivière Harricana et qui a fêté en 2014 le centenaire de sa fondation. Chantal Patry y vient au monde le 12 juillet 1974. Elle aura un frère et une soeur qui n’auront pas comme elle un handicap visuel. Comme tous les enfants, elle regarde assidûment la télévision, mais s’assoit très près de l’écran et réagit davantage quand passent des messages publicitaires dont les couleurs sont plus prononcées. Le comportement de la fillette finit par intriguer sa mère.

C’est ainsi qu’un optométriste apprend aux parents que Chantal, âgée maintenant de 4 ans, est atteinte de cataractes et d’uvéites chroniques qui devaient causer la perte de vision dans son oeil droit. La fillette va devoir jouer moins souvent au ballon ou rouler à bicyclette avec ses amis, sans être pour autant surprotégée par ses parents.

Cours primaire et adaptation

En 5ième année, elle reçoit deux télévisionneuses, dont une, pour l’école. La taille imposante de l’objet oblige la direction à agrandir son pupitre et à le munir de roulettes. Une enseignante itinérante de l’école Jacques-Ouellette de Longueuil vient à Amos quatre ou cinq fois durant l’année pour s’assurer que Chantal dispose des bons outils et est à jour dans ses études. L’école Jacques-Ouellette détient alors un mandat suprarégional du gouvernement. Chantal termine son cours primaire sans qu’il soit encore question d’une canne blanche.

Cours secondaire, école Jacques-Ouellette et canne blanche

Chantal fait ses trois premières années du secondaire dans deux écoles régulières, dont la polyvalente de La Forêt où elle travaille depuis 1997. Parce que sa vision a diminué au point qu’elle n’arrive plus à lire avec la télévisionneuse et qu’elle ne peut pas apprendre le braille à la polyvalente, nous la retrouvons en octobre 1989 à l’école Jacques-Ouellette de Longueuil. Cette école accueille des élèves handicapés visuellement, qu’il s’agisse d’une cécité totale ou d’une faible vision. En plus de donner un enseignement spécialisé, l’école offre aussi un service de soutien à l’intégration des élèves à l’école régulière, assure la formation des maîtres et participe à la recherche et au développement dans ce domaine spécifique.

C’est donc à Jacques-Ouellette que, logée par ailleurs dans une famille d’accueil de Saint-Bruno, Chantal fait une partie de son 4ième secondaire. Oui, une partie seulement parce que l’accent est véritablement mis sur l’apprentissage du braille. Dans une entrevue, elle dira avoir eu du plaisir à l’étudier. Elle reçoit une canne blanche qu’elle apprend à manier avec un intervenant de l’INLB. La canne fait son apparition juste au moment où Chantal en a un urgent besoin.

« À partir de 1989, dira-t-elle, je n’avais pas le choix, j’étais obligée de la prendre, ma vue était trop basse. »

Elle constate vite que la circulation est drôlement plus intense à Longueuil que dans les rues si paisibles d’Amos ! Elle se rappelle encore avoir été stressée par les gros autobus qu’elle entendait sans les voir. De temps à autre, avec quelques amis également malvoyants, elle se rend à un restaurant situé près de l’école où les employés leur lisent le menu.

À l’hiver 1990, elle est opérée à l’oeil gauche et voit beaucoup mieux pendant quelque temps, mais ça ne dure pas et sa vision se remet à baisser. Cette vision pour le moins fluctuante amènera d’ailleurs Chantal à délaisser parfois canne et télévisionneuse pour ensuite recommencer à les utiliser.

Retour à Amos et choix de carrière

Après l’école Jacques-Ouellette, Chantal revient dans sa ville natale et à la polyvalente de La Forêt pour y terminer son secondaire. Elle se sert alors d’un ordinateur muni d’un logiciel de grossissement de caractères. Pense-t-elle déjà à exercer un jour un métier bien précis ? Pas exactement. Ce qui est certain en tout cas, c’est qu’elle veut un travail où elle pourra aider les gens. Toutefois, elle souhaite d’abord poursuivre ses études, entre autres parce qu’elle a toujours aimé apprendre, et ce, depuis la première année du primaire. C’est donc tout naturellement qu’elle fait ses études collégiales en sciences humaines à Amos. L’avenir se précise : elle désire à présent aller étudier en psychoéducation à l’université.

Baccalauréat à Rouyn-Noranda

Elle s’inscrit donc à un baccalauréat en psychoéducation à l’Université du Québec à Rouyn-Noranda, toujours en Abitibi. Ce sera pour elle l’occasion de découvrir ce que c’est que de vivre seule dans un appartement qui, par chance, est situé tout près de l’Université. Et comment se passent ses études proprement dites ? Somme toute, assez bien, même si Chantal subit une baisse de vision durant la 3ième année de son baccalauréat. N’ayant probablement jamais côtoyé dans leur vie une personne handicapée de la vue, certains étudiants ne savent pas trop quoi dire ou faire devant une jeune femme dont ils ont remarqué le handicap, non à cause d’une canne blanche qu’elle emploie peu, mais parce qu’elle recourt à des appareils qui leur sont bien sûr inconnus.

Comment réagit la principale intéressée ? Elle n’en est pas incommodée, semble-t-il, puisqu’elle parvient à terminer son baccalauréat et s’apprête à franchir une nouvelle étape.

Maîtrise et travail

Eh bien, la suite se déroule à l’Université de Sherbrooke où Chantal fait sa maîtrise, en psychoéducation évidemment. Elle n’habite plus seule puisque sa soeur est venue la rejoindre. De retour à Amos l’été suivant, Chantal se voit offrir par la commission scolaire Harricana un poste de technicienne en éducation spécialisée. Il est difficile de refuser un premier emploi qui correspond si bien à ses aspirations, aussi l’accepte-t-elle. Mais il y a ses études. Il lui faut d’abord s’entendre avec l’Université de Sherbrooke et, une fois la chose faite, elle complète sa maîtrise à partir de chez elle et à l’Université du Québec à Rouyn-Noranda. En 1997, elle retourne à un endroit qu’elle connaît déjà, la commission scolaire Harricana et, cette fois, à titre d’éducatrice spécialisée.

Elle affirmera en entrevue n’avoir eu aucun mal à se faire accepter par la direction et ses collègues. Ceux-ci s’habituent à la croiser avec ou sans canne selon l’état de sa vision. D’après Chantal Coulombe, qui travaille avec elle, Chantal a l’estime de ses pairs, car elle sait écouter et donner de bons conseils.

« Quelquefois, raconte Chantal Coulombe, quand l’équipe cherche en vain une solution à un problème rencontré en classe avec un élève, c’est elle qui va trouver du positif en disant qu’il y a sûrement des choses à faire pour régler ledit problème. Et bien souvent, elle trouve la solution et nous impressionne encore une fois. »

À ses débuts comme éducatrice spécialisée, Chantal veille à développer l’autonomie fonctionnelle de jeunes élèves handicapés, à leur apprendre comment s’habiller et être propres, à stimuler leurs sens, etc. Pendant douze ans, c’est-à-dire de la maternelle au 5ième secondaire, elle consacre une partie de son temps à superviser une élève non voyante qui fait ses études dans le secteur régulier. Chantal doit donc adapter le matériel scolaire de l’élève en question ainsi que lui enseigner le braille et l’informatique.

Revenons à Chantal Coulombe pour qui sa collègue est

« une travailleuse acharnée qui ne compte pas ses heures. Toujours de bonne humeur, déterminée dans tout ce qu’elle entreprend, fonceuse, ce qui veut dire qu’elle ne baisse jamais les bras devant une difficulté ».

Au moment d’écrire ces lignes, à l’hiver 2014, Chantal agit comme éducatrice dans une classe pour élèves avec handicaps multiples dont l’âge varie de 6 à 21 ans.

Vie quotidienne

Chantal est mariée et mère de deux enfants qui n’ont pas hérité de son handicap. Quand vient le temps de faire des courses et que le père n’est pas libre, la maison étant située à une vingtaine de minutes du centre-ville, se déplacer avec un enfant est de l’ordre du possible, mais en avoir deux avec soi se révèle une tâche plus ardue. Compte tenu de son agenda bien rempli, Chantal apprécie grandement l’aide précieuse que lui apporte sa mère, domiciliée à proximité.

« Dans la vie, dit-elle, il faut savoir s’entourer. »

Vivre en région

Toutefois, faire sa vie dans une petite ville, loin des grands centres, peut avoir des inconvénients lorsqu’on est une personne vivant avec un handicap visuel. Les déplacements deviennent un casse-tête quand le transport adapté n’est pas offert le soir ou la fin de semaine. Dans le cas de Chantal, les choses s’arrangent quand son mari peut l’amener là où elle doit se rendre. Se pose aussi la question du temps d’attente pour recevoir une aide visuelle du centre de réadaptation régional, installé à Rouyn-Noranda, et ce, en dépit de la bonne volonté de ses intervenants. Voilà pourquoi, selon elle, il faut plus que jamais faire de la sensibilisation et se battre pour obtenir ce à quoi on a droit. Celle qui, ainsi qu’en témoigne Chantal Coulombe,

« a un tempérament posé, calme, réfléchi », compte bien « ne pas se laisser freiner par les obstacles de la vie » .

Si chaque jour est un défi à relever, à tout problème il faut trouver une solution.

Quoi qu’il en soit, Chantal ne s’est jamais sentie limitée en vivant à Amos.

« Ici, à la polyvalente, dit-elle, je suis connue, les gens savent de quoi je suis capable, je n’ai pas à faire mes preuves par rapport à mon handicap. Après tout, j’ai fait mon secondaire et mes stages ici. Les gens savaient donc que j’étais en mesure de faire le travail. »

À défaut de pratiquer durant la semaine des activités avec d’autres personnes handicapées de la vue, elle s’offre parfois le luxe d’une petite marche, d’une lecture ou d’une émission de télévision. Et lorsque l’été sera de retour, car il y a un été en Abitibi — il n’est pas vrai du tout que cette région constitue « un avant-poste du Pôle Nord, avec des froids à couper les loups en deux », comme le rappelle à juste titre Denys Chabot, lorsque l’été sera là donc, il y a dans l’air ce projet de rénover la maison et de faire de petits voyages. Depuis qu’elle a deux enfants, Chantal a appris à faire un bon usage du temps qui passe car, c’est bien connu, il passe vite et ne revient plus.

Note

1. Contes, légendes et récits de l’Abitibi-Témiscamingue, sous la direction de Denis Cloutier, éditions Trois-Pistoles, 2012, p. 5.

Attention !

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