PLOURDE, ROGER, ou Le zoothérapeute d’Alma

Portrait de Roger Plourde

« Pourquoi les bêtes sont-elles toutes de ma famille, comme les hommes, autant que les hommes ? »

(Émile Zola).

Roger Plourde vient au monde dans le village de Saint-Henri-de-Taillon, à une vingtaine de kilomètres d’Alma, au Lac-Saint-Jean. La chose se produit le 26 juillet 1939, c’est-à-dire quelques semaines avant que ne débute en Europe la Deuxième Guerre mondiale. Le père est un modeste cordonnier-sellier. Roger aura cinq soeurs et quatre frères; les familles comptant une dizaine d’enfants sont fréquentes à cette époque.

L’accident

Roger fait sa deuxième année du primaire à l’école du village quand, le 17 décembre 1946, il se blesse à un oeil en jouant. On l’amène à l’hôpital de Chicoutimi, puis beaucoup plus loin et en plein hiver, à l’hôpital Sainte-Justine de Montréal. Les opérations n’ont aucun succès. L’infection touche l’autre œil et, un mois après l’accident, Roger est totalement aveugle. « Dans les années 40, dira le principal intéressé, la médecine n’était pas très avancée en matière d’opérations aux yeux. »

Premier Institut

Roger avouera avoir vécu le plus triste moment de sa vie le jour où son institutrice annonce à ses parents qu’elle ne pourra pas le reprendre dans sa classe en janvier 1947. Être ainsi retiré de l’école des voyants lui fait croire que sa vie s’arrête là, à 7 ans. Cependant, l’espoir est permis : en effet, lors d’une visite à l’hôpital Sainte-Justine, ses parents sont informés de l’existence à Montréal de l’Institut Nazareth, qui accueille des filles et des garçons handicapés de la vue.

En septembre 1947, au moment où Roger y fait son entrée, l’Institut Nazareth héberge aussi des enfants et adolescents présentant une déficience intellectuelle, réelle ou non, si nous pensons aux « orphelins de Duplessis ».

Le jeune garçon trouve très difficile le passage de la maison et de l’école du village au pensionnat. Avant d’arriver à Montréal, il vivait, selon son expression, dans « une serre chaude » où il était dorloté. Comme bien d’autres, il s’habitue toutefois à son nouvel environnement et à la discipline qui y règne. Ses parents demeurant trop loin pour venir le visiter, Roger passe les fêtes de Noël et de Pâques chez l’une de ses soeurs dont le mari travaille comme contremaître au mont Tremblant, au nord de Montréal. Ainsi que doivent le faire tous les élèves de l’Institut Nazareth, Roger se met à l’étude du braille. Il aime beaucoup l’histoire, en particulier lorsque la religieuse fait jouer par les élèves la vie de célèbres personnages de l’histoire du Canada. Sa troisième année terminée, il doit quitter Nazareth, ainsi que l’exige la règle pour les garçons qui ont atteint l’âge de 12 ans. Parce qu’il n’y a pas alors d’école spécialisée pour garçons malvoyants, il lui faudra attendre jusqu’en septembre 1953 avant de poursuivre ailleurs son primaire.

Deuxième Institut

Et ailleurs, c’est le nouvel Institut Louis-Braille, logé à Westmount et dirigé par les Clercs de Saint-Viateur. Roger y entreprend donc sa quatrième année. Avec l’aide du professeur Claude Châtelain, aveugle comme lui, il découvre la canne blanche, peu répandue alors, et la façon de s’en servir. Il utilise toujours la canne même s’il est accompagné parce que la présence même de l’objet le rassure. Il ouvrira un jour un centre de zoothérapie, aura des chiens, mais pas de chien-guide.

Accordage de piano

Revenons à Louis-Braille où Roger est pensionnaire jusqu’à la fin du secondaire, autrement dit jusqu’à sa onzième année. Il a un faible pour le français et l’anglais, mais a du mal avec le latin, matière très valorisée dans les collèges classiques qui forment, notamment, de futurs prêtres. Ce n’est pas cette voie qu’empruntera Roger. Comme le fera plus tard Gaétan Banville (voir sa biographie), il renonce au collège et apprend l’accordage de piano qui fait à l’époque la réputation de Louis-Braille. Tout en étudiant les matières au programme, il consacre à l’accordage les samedis des trois dernières années qu’il passe à l’Institut. Une fois son secondaire achevé, il est officiellement reconnu accordeur de piano par le gouvernement du Québec. Le voilà maintenant prêt à exercer son métier, à mettre sa nouvelle science en pratique.

Rouyn-Noranda

Roger revient au Lac-Saint-Jean et s’installe à Alma dans l’espoir d’y gagner sa vie. Pas de chance : deux accordeurs, non diplômés, y travaillent déjà et refusent de lui céder une partie de leur clientèle. Roger met alors le cap sur Rouyn-Noranda, en Abitibi. Ses parents s’en désolent, car ils auraient préféré bien sûr que leur fils demeure au Lac-Saint-Jean. Rassurons-les : il y reviendra bientôt.

Un bon apprenti

En apprentissage pour quelques semaines chez un accordeur et rembourreur aveugle nommé Morin, Roger répond si bien à ses attentes qu’il séjourne deux ans auprès de lui. Comment les deux accordeurs se rendent-ils chez les clients ? Eh bien, ils disposent d’une chauffeuse en la personne de madame Morin qui se charge de leur faciliter l’aller et le retour. Comme le territoire est vaste, les Morin et Roger doivent parfois passer la nuit à l’hôtel avant de pouvoir revenir à Rouyn-Noranda. Roger se sent accepté par ses clients, ceux-ci étant rassurés par le fait qu’il détient un diplôme en bonne et due forme, ce qui, nous le savons, n’est pas le cas de tous les accordeurs. C’est à Rouyn-Noranda que Roger rencontre une femme qui est voyante, a fait des études de piano et deviendra sa première épouse.

Roger Plourde, accordeur

À son retour au Lac-Saint-Jean, en 1961, Roger s’installe à Alma avec sa compagne et se bâtit peu à peu une clientèle. Comme ses affaires vont plutôt bien, il fait l’acquisition d’une maison centenaire qu’il rénove en partie lui-même, ayant hérité de son père l’amour du bricolage. Sa femme dispose d’une pièce où enseigner la musique tandis qu’il aménage un atelier pour y faire des réparations mineures. Parce qu’il tient à protéger ses mains d’accordeur, il utilise peu d’outils électriques. Il rénove et vend des pianos, puis apparaît le piano électronique qui va faire fondre une partie de sa clientèle. Celle-ci va diminuer encore davantage avec le déclin des communautés religieuses qui cessent de faire appel à ses services. Roger dira qu’un couvent pouvait posséder jusqu’à vingt-quatre pianos, ce qui représentait pour lui quelques jours de travail.

Vu qu’il ne se sent pas le bienvenu à Chicoutimi, il cherche et trouve des clients à Jonquière, Roberval, Dolbeau et aussi loin que Chibougamau. Dans cette ville située à environ 300 kilomètres d’Alma, il se rend deux fois par année avec un camion pouvant transporter deux ou trois pianos. S’il peut en vendre au moins un, il n’aura pas fait tout ce chemin pour rien.

Le sport

Avant d’en arriver à un chapitre important dans la vie de Roger Plourde, la zoothérapie, penchons-nous un instant sur une activité qu’il affectionne particulièrement : le sport. À plus de 75 ans, il s’anime en parlant de canot, de raquette, de ski de fond et de ski nautique. Cet adepte du sport a pris le temps d’enseigner à de jeunes non-voyants comment manier un aviron en canot, descendre une pente de ski en pratiquant le chasse-neige, etc. Il évoque la base de plein air de Saint-Gédéon où des jeunes vivant avec un handicap visuel ou intellectuel fraternisent à l’occasion d’une activité physique. Roger estime très important que ces deux déficiences puissent se côtoyer.

Zoothérapie

Après avoir suivi une courte formation à Rivière-des-Prairies, Roger ouvre en juin 1991 un centre de zoothérapie à Alma. Parce qu’il s’agit du premier centre de ce genre au Lac-Saint-Jean, son fondateur passe au début pour un « zigoto ». Pourtant, d’autres centres vont ouvrir leurs portes dans la région et celui de Roger fonctionne toujours en 2015.

Genèse du Centre

À 7 ans, lorsqu’il a perdu la vue, Roger a pratiqué la zoothérapie sans le savoir. En effet, pendant les mois qui ont suivi son accident, il s’est souvent retrouvé seul et a beaucoup apprécié avoir son chien près de lui alors qu’il entendait les enfants jouer dans la cour de l’école. Presque soixante-dix ans plus tard, lors de l’entrevue, un chien a tenu d’ailleurs à manifester sa présence, tel un écho lointain de celui des 7 ans de Roger.

Le Centre

Ouvert toute l’année et traversé de sentiers de randonnée, le Centre de zoothérapie s’adresse à ceux et celles que peut apaiser le contact rapproché avec les animaux. Que ce soit un jeune contrevenant ayant perdu son permis de conduire, une personne handicapée, peu importe son handicap, ou quelqu’un vivant une période difficile, tous sont les bienvenus et libres de bavarder autour d’un café afin de sortir ainsi de leur isolement.

Le financement du Centre ayant été réduit, on y compte moins d’animaux qu’avant. En 2015, les visiteurs y trouvaient deux chevaux, deux chiens, un lapin, quatre poules et un chat. Si une personne se voit conseiller de faire de l’équitation en guise de thérapie, on l’invite d’abord à brosser le cheval pour qu’un lien de confiance se tisse entre elle et l’animal. Comme la tordeuse d’épinette a grandement endommagé le boisé, le Centre s’est vu contraint de remplacer les arbres morts.

Zoothérapie et accordage

La zoothérapie occupe davantage Roger que l’accordage de piano même si, il faut le souligner, il est bénévole au Centre depuis sa fondation. Il continue à accorder des pianos, mais fait seulement de petites réparations. Il aime toujours le contact avec la clientèle.

Il consacre donc beaucoup d’énergie à la zoothérapie parce que le besoin est là, tout simplement. Il aimerait même aller plus loin en offrant bientôt ce qu’il appelle le « zoorépit », c’est-à-dire accorder un moment de répit aux conjoints de personnes lourdement handicapées. Pour sa part, cet homme de plus de 75 ans veut se remettre à la raquette et au ski de fond. Il veut bouger et donner le goût aux autres d’en faire autant. Il dit s’en tenir au principe suivant: s’il ne peut gravir la montagne, il en fait le tour et poursuit son chemin.

Bénévolat

Il y a belle lurette que Roger s’implique dans sa communauté. De 1976 à 1988, il préside la Société de bienfaisance des aveugles du Saguenay, du Lac-Saint-Jean et de l’Abitibi Est et Ouest, qui s’appellera par la suite Association des personnes handicapées visuelles de la région 02 et qui a pignon sur rue à Alma. Il siège par ailleurs au conseil d’administration de l’Association régionale de loisirs pour personnes handicapées et, bien sûr, à celui du Centre de zoothérapie.

Récompenses

Roger Plourde a été reconnu en tant que « bénévole de l’année » en 1980 par le service des loisirs de la Ville d’Alma et a également reçu un Méritas d’Action professionnelle en 2008 pour son implication sociale. En 2011, trente ans après l’Année internationale des personnes handicapées, on le récompense encore, cette fois par le Prix du bénévolat Dollard-Morin qui veut souligner l’excellence de l’intervention bénévole en loisir et en sport au Québec.

« Dans le communiqué, on peut lire: « Personne de cœur, Roger Plourde n’hésite pas à donner de son temps au bien-être des personnes handicapées ainsi qu’aux animaux de son centre de zoothérapie. Il est toujours volontaire pour aider les autres et il veille au bonheur des gens qui l’entourent. »

Après notre entretien du 4 mars 2015, Roger devait d’ailleurs retourner au Centre de zoothérapie et reprendre ses activités là où il les avait momentanément interrompues, le temps de nous raconter une vie riche d’expériences.

Attention !

En terminant cette biographie, nous vous offrons une galerie de photos. Elle s’adresse aux parfaits voyants, aux semi-voyants, aux personnes conservant une vision modeste et aux aveugles. Il est un peu complexe de concevoir une galerie de photos pour une telle démographie. Voici donc le mode d’emploi :

Si vous avez l’usage de la vue et que vous utilisez une souris, il vous suffit de cliquer sur une photo, et alors, la galerie sera remplacée par une diapo grande format, où les photos se succéderont au rythme d’environ 5 secondes. Pour revenir à la galerie, cliquez sur l’icône X, en haut à droite.

Si vous disposez d’une vision modeste, si vous utilisez JAWS, si peut-être vous souhaitez faire une présentation à des amis voyants, alors suivez les consignes qui suivent. Chaque photo est agrémentée d’un LIEN GRAPHIQUE, visible et audible uniquement par les utilisateurs de JAWS. Faites ENTER sur ce LIEN GRAPHIQUE, et alors, la galerie sera remplacée par une diapo grande format, où les photos se succéderont au rythme d’environ 5 secondes. Pour revenir à la galerie, appuyez sur ÉCHAPPE.

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