« Une injustice commise quelque part est une menace pour la justice dans le monde entier »
(Martin Luther King).
Christine Rousseau vient au monde en 1986 dans le petit village de Sainte-Monique, près de Nicolet, entre Québec et Montréal. Le père y possède une ferme laitière. Troisième de cinq enfants, Christine naît avec une excellente vision; toutefois, on lui diagnostiquera neuf ans plus tard la maladie de Stargardt. L’une de ses sœurs est atteinte de la même maladie de la rétine. Christine fait sa part dans les divers travaux de la ferme, par exemple traire les vaches et, eh oui!, conduire un petit camion. Une fois la déficience visuelle connue, la fillette ne sera l’objet d’aucune surprotection de la part de ses parents, ne se verra imposer aucune barrière dans ses allées et venues. Devenue adulte, elle dira avoir vécu une enfance très heureuse à la ferme. « Je n’échangerais mon enfance pour rien au monde », affirmera-t-elle.
Cours primaire et secondaire
Elle fait son cours primaire à Sainte-Monique et le secondaire à Nicolet dans un collège privé pour jeunes filles. C’est au primaire qu’elle entreprend des cours de violon. Elle a 9 ans et en est à la troisième année du primaire quand son enseignante constate un problème visuel chez la fillette et en parle à ses parents. Consulté, un spécialiste donne alors son diagnostic: Christine est atteinte de la maladie de Stargardt, une maladie génétique rare, caractérisée par une perte progressive de la vision centrale; la vision périphérique, quant à elle, n’est pas touchée, mais pourrait diminuer avec le temps. Autrement dit, Christine est dotée d’une vision qui saisit l’ensemble plus que les détails. Précisons tout de suite qu’elle n’a aucune difficulté à se déplacer et qu’elle le fait sans canne blanche ou chien-guide.
Mais revenons à ses études primaires et secondaires. Elle qui ne veut surtout pas paraître différente des autres va pourtant utiliser une loupe et une télévisionneuse de même que s’asseoir à un pupitre assez gros pour que l’on y dépose des livres très agrandis. Ajoutons qu’elle obtient la permission de faire certains examens dans un local à part. Elle évolue dans un milieu où personne ne lui lance de remarques blessantes à la figure. Aussi en vient-elle tout naturellement à croire que les choses se dérouleront sans anicroche en dépit de sa basse vision. « J’ai eu beaucoup de chance, dit-elle, on ne m’a jamais démontré que ça pouvait être un obstacle. »
Le déclic
Elle a 16 ans lorsque, en quatrième année du secondaire, elle séjourne deux semaines au Nicaragua, en Amérique Centrale, avec un groupe de pastorale de son école. L’injustice qui y règne la bouleverse aussitôt. Pour elle, c’est le déclic.
Elle décide à ce moment de devenir avocate en droits de la personne. Avant d’aller au Nicaragua, elle était d’abord attirée par la médecine neurologique, mais les sciences sociales et le droit ont eu sa préférence. Elle en viendra à percevoir le droit comme un acteur de changement social. Pour elle, il n’existera aucune situation d’injustice qui ne puisse être résolue par le droit. Ce sera la réponse qu’elle apportera à ce qu’elle aura constaté au Nicaragua.
Collège
S’éloignant pour la première fois de sa famille, elle entreprend ses études collégiales au Collège Laflèche de Trois-Rivières, et ce, en sciences humaines, option « droit, culture et mondialisation ». Elle habite la résidence étudiante et va dans sa famille durant les week-ends.
Alberta
Pour apprendre l’anglais, Christine décide de quitter le Québec et d’aller vivre un an en Alberta, plus précisément à Red Deer, localité située presque à mi-chemin entre Edmonton et Calgary. Inscrite au Red Deer College, elle y fait la première année universitaire en sciences sociales et, pour pousser plus loin l’immersion, réside dans une famille anglophone. Le fait de s’exprimer en trois langues, croit-elle, peut pallier une situation de handicap visuel. L’expression « situation de handicap », que Christine a adoptée, reviendra dans ces pages. Après le Nicaragua, elle voyagera dans d’autres pays hispanophones: l’Argentine, Cuba et le Venezuela. N’empêche qu’en attendant, exilée à Red Deer, elle souffre de solitude et persévère grâce au soutien indéfectible de ses professeurs et de ses parents.
Le droit
Revenue au Québec, elle s’installe dans la Vieille-Capitale et entre en septembre 2006 à la Faculté de droit de l’Université Laval. Elle a choisi cette université parce qu’elle souhaite profiter de son « profil international » et aller faire une session d’études à Buenos Aires, en Argentine, ce qui se produira en 2009. Ici également, elle se félicite de bénéficier de l’appui constant de ses professeurs.
Barreau et stage
Une fois son baccalauréat terminé, Christine fait un arrêt obligé à l’école du Barreau, période difficile parce qu’elle doit s’astreindre à lire énormément. Puis elle fait son stage principal à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse à Montréal où elle est affectée à la recherche et à la rédaction d’avis juridiques. Elle aura aussi la chance de travailler sur différents dossiers de procès. Elle se découvre des talents de négociatrice. Elle sera également chargée d’un procès de deux jours en matière d’exploitation, une tâche qu’elle réalisera de façon entièrement autonome, surtout grâce à son iPhone. Elle en parle comme d’une « très grande chance » dans sa vie. Elle peut enfin passer de la théorie à la pratique.
Maîtrise
Elle entame ensuite une maîtrise dont le mémoire, en cours de rédaction, porte sur le droit au travail des personnes en situation de handicap dans la province de La Havane, Cuba. Son mémoire se fait sous la direction de deux professeurs, l’un de l’Université Laval, l’autre de l’Instituto provincial de Estudios Laborales de La Havane.
Avocate
Assermentée en mai 2015, désirant exercer en matière de droits de la personne et droit social, Christine ouvre son propre bureau, Cabinet Justicia inc. En collaboration avec les organismes communautaires, elle compte désormais « représenter et conseiller les victimes de discrimination raciale ou fondée sur le handicap ». Comme elle parle trois langues, elle peut aussi s’occuper de dossiers de personnes anglophones ou hispanophones. Utilisant la technologie pour mieux accomplir son travail, son meilleur ami est le iPhone. Grâce aux différents outils dont elle dispose, elle peut faire preuve d’autonomie lors des plaidoiries.
Elle croit que, dans la vie, il faut savoir prendre des risques et ne pas attendre trop longtemps avant de franchir le pas. Cette avocate de 29 ans en 2016, qui valorise sensibilité et persévérance, rêve rien de moins que de travailler un jour pour les Nations Unies.
Vulgarisation
Alors qu’elle fait son baccalauréat à l’Université Laval, Christine fait en 2012-2013 du bénévolat au bureau d’information juridique de l’Université où elle tente de vulgariser le monde du droit. Par ailleurs, elle est cofondatrice du Comité des étudiants en situation de handicap de la même université, ce qui lui permet d’organiser des conférences et d’offrir aux étudiants le même type d’information.
Plus tard, on peut la voir à la chaîne AMI-télé où elle présente ici encore les droits des personnes ayant un handicap et peut rejoindre un plus vaste public. Depuis janvier 2016 d’ailleurs, elle anime à cette même chaîne la moitié des émissions de la série « Ça me regarde ».
Cuba
La plus grande île des Antilles exerce un véritable attrait sur Christine. Depuis 2009, elle s’y rend régulièrement pour recevoir des traitements en ozonothérapie et en électrostimulation. Ceux-ci ont eu pour effet de stopper la progression de sa maladie visuelle. Chaque fois, elle passe deux semaines dans l’île et a du temps libre pour faire du tourisme dans la capitale. « C’est quand même bien, dit-elle, on joint l’utile à l’agréable. » Elle s’est ainsi fait beaucoup d’amis là-bas et peut avec eux perfectionner son espagnol.
Cependant, une chose la déçoit au Québec: l’absence d’un comité d’experts pour analyser les traitements qu’elle va chercher à l’extérieur.
Obstacles
Idéaliste comme sa mère, elle prétend également être très naïve. Elle ajoute que sa grande naïveté lui a fait choisir une carrière en apparence fermée à une personne handicapée de la vue. Elle y a vraiment cru, elle a donc traversé les obstacles un à la fois.
Pour elle, avoir une basse vision, cela ressemble un peu aux montagnes russes. On l’oublie, puis on y pense quand on est confronté à une situation imprévue. Ce sont parfois de petits détails qui la stressent. Elle craint de rater une marche parce qu’elle ne l’aura pas bien vue, de ne pas trouver à temps la bonne salle de classe, de mal voir le numéro de l’autobus, etc.
Il y a d’autres formes d’obstacle. Christine a trouvé difficile que les attentes à son égard aient été peu élevées parce qu’elle est en situation de handicap. Elle n’aurait même pas dû penser fréquenter l’université un jour… C’est parce qu’elle a vécu un sentiment d’infériorité qu’elle a travaillé plus fort que les autres. Elle s’est fait une règle de ne pas douter de ses capacités. Après tout, elle estime avoir droit à une famille, un travail, des loisirs, une vie sociale. C’est pour elle d’autant plus vrai que la société d’ici rappelle quelquefois aux personnes vivant avec un handicap qu’elles forment une catégorie à part, ce qu’elle n’a pas senti en Amérique latine.
Alejandro
Le hasard a voulu que Christine rencontre son futur mari, Alejandro, à Cuba alors qu’il est Vénézuélien d’origine. La chose s’explique par le fait qu’il accompagnait à Cuba son petit neveu qui devait recevoir les mêmes traitements que ceux reçus par Christine. Celle-ci est allée à quelques reprises au Venezuela, ce qui la réjouit, car elle adore apprendre d’autres cultures. Elle vit avec Alejandro depuis 2010.
Elle veut un enfant bien qu’elle craigne de lui transmettre sa maladie. Si cela devait arriver, elle lui dirait alors qu’on peut réaliser ses rêves tout en ayant une basse vision. En tant que croyante, elle est convaincue que nous sommes tous sur terre pour une raison. Nous avons tous quelque chose de particulier à apporter aux autres. Elle puise une grande force dans la prière. Chanter lui permet d’oublier ses soucis, car elle en a parfois, bien que sa bonne humeur puisse nous faire croire le contraire. Enfin, elle tient à souligner que si elle avait joui d’une vision normale, son parcours aurait été identique.
Témoignage
Maître Maurice Drapeau de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse est le mentor de Christine depuis son assermentation comme avocate. Il livre ici un témoignage sur sa protégée:
« L’histoire de Christine est celle d’un combat pour la défense du droit à l’égalité des personnes en situation de handicap qui a commencé par son expérience personnelle. Elle mène cette lutte constante en se projetant vers l’avenir avec une vision (sans jeu de mots) de meilleurs rapports sociaux entre les êtres humains pour la suite de la vie. Son parcours est une leçon de courage et de persévérance. »
Parlant du nouveau rôle d’animatrice télé de Christine, il ajoute:
« Elle brille comme une étoile au firmament d’AMI-télé. »