SAINT-LAURENT, CAMILLE, ou Une question de volonté

« La volonté est à notre âme ce qu’est le cœur à notre corps »

(Joseph Joubert).

Camille St-Laurent vient au monde le 18 octobre 1994 à l’hôpital Sainte-Justine de Montréal, mais sa famille habite Granby, en Montérégie. Handicapée de la vue à cause du glaucome et de cataractes, elle aura, une fois devenue adulte, des décollements de rétine qui la rendront aveugle. Elle a un frère plus âgé qui n’est pas touché par ce handicap. Dans son enfance, elle ne peut voir plus loin que 20 pieds devant elle, mais parvient à lire l’imprimé.

Cependant, elle est née aussi avec des problèmes cardiaques de sorte que la déficience visuelle est d’abord reléguée au deuxième rang. Encore bébé, elle subit trois opérations à coeur ouvert. Cela ne l’empêchera pas d’être une enfant téméraire, voire casse-cou, d’autant plus qu’elle n’est pas surprotégée par ses parents. « Je ne voulais pas me limiter dans la vie », dira-t-elle.

Cours primaire

Camille fait ses études primaires, secondaires et collégiales à Granby. Dès le primaire, elle s’assoit à l’avant de la classe. On lui donne une loupe et on agrandit les documents qu’elle doit lire. Un professeur itinérant vient la rencontrer de temps en temps pour s’assurer qu’elle s’intègre bien à l’école régulière. Ce même professeur a pris la peine de sensibiliser les professeurs et parfois les élèves au handicap de Camille. Il y a toutefois une ombre au tableau : Camille, qui porte des lunettes, est victime d’intimidation, par exemple dans les sports d’équipe, une situation qu’elle vivra aussi au secondaire.

Déménagée à Montréal, elle répondra à l’invitation d’un professeur et reviendra un jour à Granby pour parler d’intimidation, de tolérance et de différence à des élèves de première année du secondaire.

Cours secondaire

Ses parents l’inscrivent à une école jugée plus performante et qui offre un programme d’études international. Comme ce dernier vise à former de futurs citoyens, il exige des élèves, entre autres choses, qu’ils fassent du bénévolat : Camille en fait donc, en particulier de l’aide aux devoirs. Elle reçoit une nouvelle aide visuelle, une télévisionneuse, et a droit à plus de temps pour faire les examens.

Elle a un faible pour l’histoire, le français, les arts plastiques et la musique. Par ailleurs, elle apprend l’espagnol, ce qui lui sera très utile à la fin du secondaire, en 2012, lorsqu’elle va avec son école au Guatémala et en Équateur. Elle se déplace dans ces deux pays avec une canne blanche qu’elle vient tout juste d’apprendre à utiliser.

Cégep

Elle s’inscrit ensuite au cégep de Granby en techniques d’éducation spécialisée. Cependant, elle doit quitter le cégep après deux ans, car elle commence en juillet 2014 à avoir des décollements de rétine. Elle doit se faire opérer cinq fois à Montréal. Après la première opération, elle déménage dans la métropole. C’est là qu’elle décroche quelques mois plus tard un diplôme d’études collégiales sans mention ou sans programme.

Université

En septembre 2015, Camille entreprend un certificat en victimologie à l’Université de Montréal. Elle y étudie les techniques d’intervention auprès des victimes d’actes criminels. Elle dispose maintenant d’un ordinateur avec synthèse vocale et fait mettre en Word les livres ou documents dont elle a besoin. Cette jeune femme qui se dit fonceuse et persévérante prend autobus et métro.

Elle compte poursuivre ses études en criminologie en faisant un baccalauréat, puis une maîtrise dont une session de quatre mois à l’étranger, c’est-à-dire en Inde. L’Inde, nom magique pour Camille : nous en reparlerons bientôt.

Monde du travail

Revenons en 2010. Comme bien des adolescents, Camille rêve à un emploi d’été. Après avoir depuis mars envoyé son CV à maints endroits, elle craint de ne pas en trouver, car « les emplois pour les 15-16 ans ne sont pas très nombreux », selon Louise Boivin, mère de Camille1. Mais la chance sourit à la jeune fille : elle est embauchée comme plongeuse chez un traiteur de Bromont, ville située près de Granby. « Cela a été, écrit-elle, toute une aventure de dénicher un emploi convenable pour une personne comme moi1. »

Elle en conserve néanmoins un très bon souvenir si l’on en juge par ce qui suit :

« Cet été, j’ai vécu une belle expérience et cette expérience m’a initiée au marché du travail. […] Je n’en revenais pas comment les employés étaient aussi chaleureux et accueillants ! À la minute où j’ai été embauchée, je suis devenue des leurs et je suis même allée à leur party. »

Parlant de sa première journée de travail, elle ajoute, dans l’enthousiasme de ses 16 ans, qu’elle « restera gravée à tout jamais dans mon cœur1 ».

Elle travaillera ensuite comme caissière superviseure dans un marché Maxi et assistante à l’animation à la Cour des sens du Jardin botanique de Montréal.

Mannequin d’un jour

« Vivre avec un handicap visuel, écrit Camille, c’est une chose, mais le surmonter, c’en est une autre. En effet, il y a beaucoup de moyens pour réussir à surmonter cette déficience. Par exemple, pourquoi ne pas faire l’expérience de mannequin d’un jour pour le Défilé sans cliché du Festival mode et design de Montréal2! »

Ce défilé adhérant à la philosophie de la Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée, Camille est heureuse d’y participer. Avant de faire une pratique, elle informe le styliste de son handicap visuel. Afin qu’elle puisse se promener sur la scène en toute sécurité, on y colle un X noir. Le problème, c’est que la scène est déjà noire! Camille se console à l’idée qu’on a voulu bien faire.

De cette journée, Camille tire la profession de foi suivante :

« Je me trouve belle comme je suis, je n’ai pas de complexes ou, si j’en ai, je n’y prête pas attention. De plus, j’apprécie ce que la vie m’offre et je m’épanouis en vivant au jour le jour. Je ne laisse pas mon handicap visuel gâcher ma vie et je l’accepte. Pour ainsi finir par le surmonter et ne pas m’imposer des limites2. »

Parlement jeunesse du Québec (PJQ)

Passionnée par l’histoire et la politique, Camille participe en décembre 2013 au Parlement jeunesse du Québec où l’apprentie députée peut librement donner son opinion à condition, à l’instar des vrais députés, de respecter les procédures parlementaires.

« Au début, écrit Camille, voir le Salon bleu m’impressionnait, car l’architecture est spectaculaire et les peintures au plafond aussi. Sans oublier le trône du président d’où émanait beaucoup de prestige. […] L’expérience au PJQ a été enrichissante pour moi. […] Je n’ai pas du tout eu de la difficulté à me tailler une place au sein de cette simulation parlementaire. Au contraire, les gens sont ouverts aux différences et il y a beaucoup de diversité3. »

Forum étudiant (FÉ)

Camille prononce à l’hiver 2013 un discours lors de l’assemblée générale de l’Association étudiante du cégep de Granby. Ce discours l’amène tout naturellement à s’inscrire au Forum étudiant de janvier 2014. Dans cette autre simulation parlementaire, partisane cette fois, elle agit à titre de première vice-présidente et découvre les coulisses des séances de l’Assemblée nationale en prenant part aux discussions sur certains dossiers.

« Je peux vous confirmer, écrit-elle, que la première fois où j’ai siégé sur le trône de la présidence, mes jambes tremblaient et j’étais très nerveuse. Cependant, au fil des séances, j’ai pris beaucoup d’assurance3. »

C’est dans le cadre du Forum étudiant qu’elle rencontre Marie-Douce Fugère, avocate à l’Assemblée nationale et non-voyante.

« Cette rencontre, écrit Camille, m’a beaucoup émue, car j’avais la preuve vivante qu’avec la volonté, malgré les obstacles et les limites que la vie nous inflige, on peut tout faire. Il suffit d’y croire et de surtout croire en nous3. »

AQPEHV

Ce désir qu’éprouve Camille de défendre ses idées se manifeste aussi à l’Association québécoise des parents d’enfants handicapés visuels (AQPEHV), fondée en 1980 et dont ses parents sont membres. L’AQPEHV se préoccupe d’intégration scolaire, du développement de services de réadaptation et d’adaptation en déficience visuelle et du développement de l’entraide entre parents. Camille collabore aux journées d’échanges de l’AQPEHV en 2014 et 2015. Elle y anime notamment un atelier pour les parents.

L’Inde

Le 26 juillet 2014, Camille épouse un homme d’origine indienne qui est arrivé au Canada en 2013 et aimerait devenir policier. Comme il est sikh, il porte à l’occasion un turban. Camille et lui se rendent régulièrement dans un temple sikh (gurudwara) où l’on trouve une cuisine communautaire et même des lits pour les sans-abri. Le sikhisme, soulignons-le, est une religion monothéiste fondée dans le nord de l’Inde au XVe siècle.

Camille est attirée par l’Inde depuis l’âge de 16 ans. Après avoir expérimenté divers types de danse, dont le ballet classique, elle découvre la bollywood, ce mot étant une contraction de Bombay et de Hollywood. Camille aime beaucoup chanter des chansons comme celles que l’on entend souvent dans les films tournés à Bombay.

Cette passion pour l’Inde n’empêche nullement Camille de rêver à une semaine dans le Sud avec son mari dès que ce dernier obtiendra sa résidence permanente.

Autres activités

Camille commence à suivre des cours de chant à l’âge de 3 ans, ce qui l’amène à participer à une émission à la chaîne Canal Vie alors qu’elle est en sixième année. Elle aurait voulu apprendre la guitare et le piano, mais un bras cassé dans sa jeunesse l’en a empêchée. En guise de clin d’œil, signalons que cette étudiante en criminologie aime lire quelquefois… des romans policiers.

Un mot de l’auteur

Je tiens à remercier madame Geneviève Genest de l’AQPEHV pour sa collaboration.

Notes

  1. St-Laurent, Camille et Boivin, Louise, « Un été bien spécial », L’Éclaireur, bulletin de l’AQPEHV, 2010-2011, pp. 6-8.
  2. St-Laurent, Camille, « Une journée en tant que mannequin d’un jour », L’Éclaireur, 2011-2012, pp. 22-23.
  3. St-Laurent, Camille, « Être politicienne semi-voyante, toute une aventure! », L’Éclaireur, 2013-2014, pp. 8-10.