SIMARD, RÉGINE, ou Une trifluvienne heureuse

Portrait de Régine Simard.

« Enseigner, c’est apprendre deux fois »

(Joseph Joubert).

Régine Simard vient au monde à Parent, un village de la Haute-Mauricie situé à 150 kilomètres au nord-ouest de La Tuque. La chose se passe le 30 mai 1952. Albinos de naissance, elle a ce qu’elle appelle une « basse vision ». L’un de ses quatre frères est atteint lui aussi de la même déficience. Sans être surprotégée, Régine fait quand même l’objet d’une surveillance attentive de la part de ses parents. Toutefois, elle a la permission de marcher seule jusque chez sa grand-mère qui habite tout près.

Débuts difficiles à l’école

En 1958, Régine fait sa première année du cours primaire dans une école de son village dont elle ne gardera pas un très bon souvenir. Son père doit « se chicaner » avec le curé afin qu’elle soit acceptée dans une école pour élèves voyants. Une fois la chose faite, l’institutrice place la fillette à l’arrière de la classe, comme si une déficience visuelle allait de pair avec une déficience intellectuelle. Régine parvient difficilement à lire comme les autres enfants et ne peut corriger la situation, car elle ne porte pas de lunettes adéquates et ne dispose pas non plus d’une simple loupe.

Certains élèves profitent de sa mauvaise vision pour lui subtiliser de menus objets. À défaut d’y voir correctement, Régine développe une excellente mémoire, très utile quand vient le temps d’apprendre le catéchisme par coeur. Savoir réciter parfaitement son catéchisme, à cette époque, permet à un élève de se faire valoir au sein d’un groupe. Régine ne finira pas sa première année, car son père, mécanicien de locomotive, est muté à Grand-Mère au printemps 1959.

Institut Nazareth

À 7 ans, Régine se retrouve donc à Grand-Mère, du moins pour quelques mois. Dès l’automne 1959, elle découvre non seulement Montréal, mais également l’Institut Nazareth qu’a fréquenté auparavant Serge, son frère albinos. Elle est loin de se douter qu’elle dormira chaque soir à l’Institut pour les années à venir. En réalité, elle n’a aucune idée de ce qu’est un pensionnat. Elle va l’apprendre assez vite grâce à sa « marraine », une élève un peu plus âgée qui connaît bien la vie à Nazareth. D’ailleurs, Régine sera elle-même un jour la marraine de fillettes moins débrouillardes qu’elle. Dans l’austère bâtisse de la rue Crémazie, les nombreux règlements peuvent effaroucher les nouveaux venus. Étant une élève docile, Régine écoute sagement les religieuses et, par exemple, fait son lit avec les coins juste comme il faut. Les premières nuits, elle pleure en silence sur son sort, mais elle va s’adapter lentement à sa nouvelle vie de pensionnaire. « J’ai fini de brailler, je me suis fait une raison », dit-elle.

Étudier le braille s’avère une révélation pour la fillette, car elle aime la lecture. Durant la messe du dimanche, elle prend plaisir à promener les doigts dans son missel en braille. C’est aussi par le braille qu’elle apprend le solfège et le piano, mais elle ne fera pas de longues études musicales. En cachette de ses professeurs, presque tous handicapés de la vue, elle se réjouit de pouvoir lire l’imprimé, ou, comme elle dit, « lire en noir » avec une loupe. Celle-ci lui permet de se plonger avec ravissement dans les journaux consacrés aux vedettes. Elle ignore qu’un jour elle utilisera une télévisionneuse.

À 12 ans, elle obtient la permission d’aller à Grand-Mère en train. Pour ce faire, elle prend un taxi jusqu’à la gare d’Ahuntsic, proche de l’Institut, et, de là, un train l’amène à Grand-Mère. À la veille de quitter Nazareth, elle reçoit une canne blanche dont elle refusera pendant quelque temps de se servir. Rappelons que les pensionnaires de l’Institut se déplacent à l’intérieur des murs en se tenant par la main. Régine achève sa 11ième année en 1971, mettant ainsi fin à son séjour à Nazareth.

12ième année

Après onze ans dans une école spécialisée, Régine fait sa 12ième année dans une école de Grand-Mère où elle se sent acceptée, tisse des liens d’amitié et fait un peu de bénévolat. Elle intrigue ses camarades de classe lorsque, sur des feuilles de cartable, elle prend des notes en braille avec son rectangle et son poinçon, notes qu’elle tape le soir à la machine à écrire, ce qui lui permet d’accroître sa vitesse de frappe et de mieux mémoriser la matière en question. Grâce à un magnétophone avec bobines, elle fait enregistrer des livres, notamment par sa mère.

Cégep

Elle consulte un orienteur et s’inscrit en histoire au cégep de Shawinigan, ville jumelle de Grand-Mère. Elle choisit l’histoire, d’abord parce qu’elle aime beaucoup l’étudier et aussi, pour dire la vérité, parce qu’elle a peur des mathématiques modernes. Après avoir consulté un ophtalmologiste, elle se fait faire des lunettes avec prismes de Fresnel qui lui permettent de lire de très près sans avoir mal à la tête. Elle les portera jusqu’à ce qu’elle reçoive des services en réadaptation. Ces lunettes sont fort appréciées quand on est un véritable rat de bibliothèque !

Régine demande aux professeurs de bien vouloir dire ce qu’ils écrivent au tableau. Parce que le cours d’éducation physique n’est pas adapté, elle choisit des activités qu’elle se sent capable de pratiquer (la natation, la danse, le tir à l’arc, etc.) et évite soigneusement les sports d’équipe. Elle se déplace rarement avec sa canne, mais l’extrême pâleur de ses cheveux suffit à l’identifier comme albinos.

Université

En 1974, voulant devenir avocate, Régine poursuit, en français, ses études à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Toutefois, elle abandonne après la première année du baccalauréat à cause, entre autres, d’une surcharge de lecture.

Un orienteur du cégep de Shawinigan lui conseille alors de se tourner vers le monde de l’éducation. Bien qu’enseigner ne l’attire pas vraiment à ce moment-là, elle s’inscrit donc à un baccalauréat en enseignement en éducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Elle s’en félicite parce qu’elle trouve la matière plus accessible que le droit. Si, en 1976, elle décide de se spécialiser en adaptation scolaire, c’est qu’elle songe maintenant à gagner sa vie dans l’enseignement. La chance, « une chance inouïe » pour reprendre ses mots, lui sourira bientôt.

Enseignement

Régine obtiendra son brevet en enseignement au début des années 80. À l’époque, il faut avoir obtenu son baccalauréat et avoir fait sa probation d’une durée de 2 ans avec un autre enseignant qui agit comme tuteur. Toujours est-il que Régine fait toujours son baccalauréat quand le bureau local de l’Institut national canadien pour les aveugles (INCA) l’informe que l’école Marie-Leneuf cherche un professeur de braille. Offrant des services éducatifs axés sur le développement de l’autonomie et l’inclusion sociale, cette école accueille des élèves handicapés, notamment des handicapés de la vue que leurs parents ne veulent pas envoyer à l’Institut Nazareth de Montréal. Régine propose sa candidature et est immédiatement embauchée. C’est ainsi qu’elle fait ses débuts dans l’enseignement en 1976, enseignant le jour et fréquentant l’université le soir. De 1996 à 2003, des élèves de 16 à 21 ans qui ont une déficience intellectuelle font aussi partie de sa clientèle. « Un beau défi », déclare-t-elle. Une nouvelle aide visuelle, un télescope, lui permet de voir à environ trois pieds de distance. Debout à côté des élèves, Régine peut donc lire ce qu’ils écrivent dans leurs cahiers. Se sentant appréciée à la fois de ses élèves et de ses pairs, elle exerce le métier d’enseignante jusqu’en 2007.

Réadaptation

Afin de travailler un jour en réadaptation, Régine suit, de 1989 à 1993, des cours du programme DESS offert par l’Université de Sherbrooke à Longueuil et le centre Louis-Hébert de Québec. En 1993, elle réalise son rêve et se retrouve intervenante en réadaptation. Elle souhaite favoriser à sa façon le développement, l’autonomie et la participation sociale de la personne handicapée. Elle commence à travailler à temps partiel pour le centre de réadaptation de Trois-Rivières qui s’appellera plus tard Interval et qui dessert la population des régions Mauricie et Centre-du-Québec. L’établissement accueille les personnes vivant avec une déficience motrice, visuelle, auditive ou du langage. Selon Monique Beaudoin (voir sa biographie),

« il est plutôt rare que les centres de réadaptation régionaux embauchent des personnes handicapées de la vue ».

Régine a pour tâches l’enseignement du braille et l’attribution des aides informatiques aux adultes et aux aînés, permettant ainsi de compenser les incapacités dues à un handicap et d’en réduire les effets négatifs. Au moment où nous écrivons ces lignes, en novembre 2014, Régine travaille toujours deux jours par semaine au centre Interval, mais songe à prendre sa retraite en 2017. Signalons que le Centre lui a décerné un certificat de reconnaissance où il est écrit, entre autres, que cette intervenante

« sourit facilement » et a une « attitude positive contagieuse ».

Canne : oui ou non ?

Rappelons que Régine avait boudé au début des années 70 la canne blanche que lui avait procurée l’INCA par l’entremise de l’Institut Nazareth. Qu’en est-il aujourd’hui ? Elle utilise si nécessaire une canne de support pour marcher sur la glace et avec laquelle elle ne peut « balayer » devant elle. Elle emploie une canne d’identification, en fait une petite et très mince canne blanche si elle doit se rendre dans une partie de la ville qu’elle connaît peu ou pas du tout. Elle recourt également à la canne blanche lorsqu’elle doit traverser une rue qu’elle juge dangereuse. Régine reconnaît elle-même que se servir d’une canne blanche comporte des avantages non négligeables. Elle pense par exemple à ces gens qui, dans la rue ou ailleurs, offrent leur aide à une personne handicapée de la vue, munie d’une canne blanche, qui semble hésiter sur la trajectoire à suivre. Si Régine préfère ne pas s’afficher comme une personne vivant avec un handicap visuel, elle a d’ailleurs teint ses cheveux, elle fait quand même preuve de prudence dans ses déplacements.

Le milieu

Elle commence très jeune à côtoyer des personnes handicapées visuellement. À 16 ans, encore élève de l’Institut Nazareth, elle devient membre du Conseil canadien des aveugles du Centre-Mauricie (CCACM) de Grand-Mère et participe aux activités dès qu’elle en a l’occasion. Elle préside en 2014 l’Association éducative et récréative des aveugles (AERA) de la région 04-Mauricie, fondée en 1972 et dont elle est membre depuis 1978.

Loisirs

Mère de deux jeunes adultes, non handicapés, Régine habite seule une maison où, l’été, elle prend plaisir à s’occuper de ses fleurs. En tant que propriétaire handicapée de la vue, elle avoue sa peur de se faire avoir lorsque des travaux ou réparations s’imposent à sa maison. Mise à part cette crainte bien légitime, la vie de Régine s’écoule entre travail, bénévolat et lecture.

Nous avons déjà parlé du travail et abordé la question du bénévolat. Régine souhaite que l’AERA continue à offrir une gamme d’activités aux personnes handicapées visuellement de la région de Trois-Rivières. N’étant pas éternelle, elle veut préparer la relève et c’est là le défi. Défi, oui, parce qu’elle constate que les jeunes ayant un handicap visuel ont souvent fréquenté l’école régulière et n’ont pas forcément le goût de faire partie d’associations même si celles-ci entendent défendre leurs droits.

Cette préoccupation, Régine peut l’oublier temporairement en plongeant dans la lecture. « Heureusement qu’il y a des samedis et des dimanches », dit-elle en soupirant. Elle lit surtout avec ses yeux grâce à son iPad dont elle peut grossir les caractères à sa guise. Une autre chose qui facilite sa lecture, c’est le contraste très net entre les lettres blanches et le fond noir. « C’est le bonheur total ! », affirme-t-elle, ravie. Et l’ordinateur, c’est aussi un terrain de jeux où elle passe des heures à exercer patience et stratégie.

Elle a voyagé avec son ex-mari en Europe, au Japon et au Mexique. A-t-elle renoncé au voyage ? Non, pas du tout. Cependant, pour se simplifier grandement la vie, elle ne voyagerait plus seule, mais le ferait dans le cadre sécuritaire d’un voyage organisé.

Sérénité

En 2011, Huguette Aubry du centre Interval n’hésite pas à présenter Régine comme une vraie

« source d’énergie solaire », une femme qui « voit le côté joyeux de la vie ».

Comme si cela ne suffisait pas, elle ajoute:

« Elle entre au travail en fredonnant, elle en sort en chantant ».

Voilà, vous l’admettrez, un titre de gloire qui en vaut bien d’autres.

Attention !

En terminant cette biographie, nous vous offrons une galerie de photos. Elle s’adresse aux parfaits voyants, aux semi-voyants, aux personnes conservant une vision modeste et aux aveugles. Il est un peu complexe de concevoir une galerie de photos pour une telle démographie. Voici donc le mode d’emploi :

Si vous avez l’usage de la vue et que vous utilisez une souris, il vous suffit de cliquer sur une photo, et alors, la galerie sera remplacée par une diapo grande format, où les photos se succéderont au rythme d’environ 5 secondes. Pour revenir à la galerie, cliquez sur l’icône X, en haut à droite.

Si vous disposez d’une vision modeste, si vous utilisez JAWS, si peut-être vous souhaitez faire une présentation à des amis voyants, alors suivez les consignes qui suivent. Chaque photo est agrémentée d’un LIEN GRAPHIQUE, visible et audible uniquement par les utilisateurs de JAWS. Faites ENTER sur ce LIEN GRAPHIQUE, et alors, la galerie sera remplacée par une diapo grande format, où les photos se succéderont au rythme d’environ 5 secondes. Pour revenir à la galerie, appuyez sur ÉCHAPPE.

Bon visionnement !

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